Bilan d'atelier (Ecole du TNB, Rennes)
Jouer Dieu. C’est-à-dire envisager les « rôles » comme différents visages, visages multiples d’un même visage, celui, inconnu évidemment, de Dieu – ou de soi. Visages momentanés de Dieu. C’est la spéculation du panthéisme, bien entendu, mais qui, je crois, est assez plaisante à manipuler pour des acteurs puisque c’est l’idée de ne pas subir les rôles, mais de les diriger. L’idée de l’omniscience, le point de vue du créateur et non pas de sa marionnette. Rendre l’acteur à son véritable statut, celui de créateur plus que d’interprète. C’est une vision des choses. Pour moi, dans mes créations, tout vient des acteurs, des interprètes. Comme le disait Coco Chanel : « Je fais mes robes sur les mannequins. » Je ne sais pas d’avance sur quels thèmes nous allons travailler, c’est l’acteur qui amène ce qu’il veut ou ce qu’il sent et à partir de là, de sa « matière », j’arrange l’espace et la lumière, le rythme, la temporalité pour que la robe soit la plus haute couture possible, la plus ajustée à l’âme de ce qui est proposé. Il ne s’agit que d’une histoire de costume. (D’autres l’ont dit avant moi.) Comme il s’agit ici d’une école, il était évidemment intéressant de s’intéresser aux créations des autres, les créations littéraires, et comme le projet était de passer trois semaines (des six semaines de l’atelier) à Berlin, hors les murs, il était quasiment nécessaire de s’intéresser à l’immense littérature allemande. Mais cela n’a pas été exclusif, bien entendu. Une forme a été créée à la fin que nous avons jouée à Berlin et reprise au retour à Rennes. Elle s’est appelée : Grains de pollen. C’était la saison, à Berlin, d’une sorte de neige permanente dans la ville-nature, terrible pour la population allergique, mais merveilleuse pour celle qui ne l’est pas. Et c’est aussi le titre du premier recueil (un recueil fragmentaire) de Novalis. Cette forme présentée a été composée d’une partie des fragments qui avaient été travaillés durant les six semaines dans l’atelier, des matières la plupart du temps textuelles, mais légères, incarnées, non fixées, permettant l’improvisation et surtout le plus possible de résonances, d’échos et d’échanges, je dirais, si je puis me permettre, au sens presque quantique, les unes avec les autres. Cette forme a été inspirée également de la pièce-chef d’œuvre de Peter Handke, La Chevauchée sur le lac de Constance, qui nous a servi de fil rouge tout au long des six semaines, comme un travail de reliement et de déploiement d’une méthode d’ailleurs parfaitement énoncée dans la pièce : des gens sont disponibles à ce qui est, disponibles à eux-mêmes sans aucune autre considération qu’une pièce de théâtre en train de se faire. Autre signalement capital pour l’ouverture et la compréhension du travail, deux intervenants extérieurs : Jeanne Balibar pour le point de vue de l’actrice pure, disponible à tout et à tout le monde, tube de couleur et pourtant parvenant – c’est ce qu’elle nous a expliqué – à ne jamais faire que ce qu’elle décide, ressent, en ce sens créatrice omnisciente – et Laurent Chétouane dont la dernière pièce de danse, Horizon(s), était présentée à Berlin au moment où nous sommes arrivés, pièce exceptionnelle que nous avons vue deux fois, Laurent Chétouane étant intervenu dans l’atelier deux fois également. Laurent Chétouane – metteur en scène et chorégraphe, cas unique à ma connaissance – allie un esprit mathématique et méthodique, scientifique à la délicatesse et à la subtilité du poète, en tout cas infiniment plus que j’aimerais que mes possibilités ne me le permettent. Ces interventions (enregistrées) ont été parfaitement justes et sa présence une grande chance.
La vraie expérience que sont en train de vivre les élèves, ce n’est pas la rencontre avec tel ou tel intervenant, telle ou telle méthode ou vision du monde, c’est de vivre en groupe pendant trois ans. C’est là que tout se fait, les uns par rapport aux autres, comme dans une famille, une enfance. C’est ce que j’ai ressenti avec une grande force (impression renforcée sans doute par le hors les murs à Berlin pendant trois semaines). Je n’avais auparavant que donné des stages à des gens venant d’horizons divers et ne se connaissant pas. Ici il y a eu une énergie, une force à la fois merveilleuse (la « matière entre » est palpable, sensible comme entre des gens très proches) et dommageable : il est très difficile de changer les hiérarchies qui se décident à l’intérieur du groupe, avec les lois du groupe, presque exclusivement. Les hiérarchies, les compromis, les alliances qui se font et se défont, les deals, tout ça relevait très peu de mon intervention. C’est à la fois une vague sur laquelle on peut surfer et aussi – c’est inhérent – un frein pour le renouvellement du monde dont chacun d’entre nous rêve. Une beauté et violence animales, c’est ce que j’ai ressenti dans cette expérience pour le moment unique.
La vraie expérience que sont en train de vivre les élèves, ce n’est pas la rencontre avec tel ou tel intervenant, telle ou telle méthode ou vision du monde, c’est de vivre en groupe pendant trois ans. C’est là que tout se fait, les uns par rapport aux autres, comme dans une famille, une enfance. C’est ce que j’ai ressenti avec une grande force (impression renforcée sans doute par le hors les murs à Berlin pendant trois semaines). Je n’avais auparavant que donné des stages à des gens venant d’horizons divers et ne se connaissant pas. Ici il y a eu une énergie, une force à la fois merveilleuse (la « matière entre » est palpable, sensible comme entre des gens très proches) et dommageable : il est très difficile de changer les hiérarchies qui se décident à l’intérieur du groupe, avec les lois du groupe, presque exclusivement. Les hiérarchies, les compromis, les alliances qui se font et se défont, les deals, tout ça relevait très peu de mon intervention. C’est à la fois une vague sur laquelle on peut surfer et aussi – c’est inhérent – un frein pour le renouvellement du monde dont chacun d’entre nous rêve. Une beauté et violence animales, c’est ce que j’ai ressenti dans cette expérience pour le moment unique.
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