Un jour, vous verrez le cadavre de votre ennemi passer
Raphaël Marre avait demandé à son père quand il était petit comment faire pour draguer les filles. Et son père lui avait répondu : « Mon garçon, il faut que tu aies un point d’interrogation sur le visage. » C’est comme ça que Raphaël explique son « mystère » (son « charme » ?) et peut-être son « imprécision ». Il m’a envoyé beaucoup de sms ces derniers temps et dernièrement pour qu’on déjeune ensemble ou boive un café, etc. J’ai accepté, j’aime bien Raphaël que je ne vois pas souvent, pourquoi pas ? Il a un chalet dans un domaine naturiste où nous étions allés, Hélèna et moi… Il a fallu trouver, dans cette semaine si agitée – la semaine de tous les stress – qui avait commencé par une heure et demie sur une table allongé avec des électrodes partout comme chez le docteur Frankenstein – un cauchemar – et ensuite les abcès, les dentistes, les dents en moins, les examens, les résultats des examens, les appels téléphoniques, les angoisses, les antibiotiques, et l’on me dit : « Tout ça vient du stress », mais c’est vous qui me stressez, bande de médecins ! Il avait fallu trouver, donc, un petit restaurant, je ne vais plus trop aller au Café Divan, le nouveau patron, Marc, est sympathique, mais homosexuel – et arriviste – ça ne va pas m’aider – il avait fallu, dans cette semaine si agitée, les productions qui se cassent la gueule, Nyon, la Cité, personne ne répond, les politiques sont partis avec la caisse, la société bascule, les riches s’en sont mis plein les fouilles car ils ont vu le coup venir… – il avait fallu – et j’avais donc trouvé ce petit restaurant rue Léon Frot, Le Coup de feu, dont Armelle Letanneux m’avait parlé (je connais de plus en plus d’acteurs qui travaillent dans les restaurants, ça y est, à l’américaine, le monde réel) et on s’était donné rendez-vous là, avec Raphaël Marre. C’était la journée où j’avais annoncé aux acteurs que la production de Nyon risquait d’être annulée, c’était la journée où l’argent de la loterie romande n’était pas arrivé. L’argent, pas pour les acteurs, notez bien, non, l’argent pour la SNCF, pour la compagnie d’aviation (Bruxelles-Genève), pour les chemins de fer suisses (très chers), pour les restaurants suisses (très chers), pour la location de la salle municipale (c’est-à-dire que c’est ce que je suis en train de dire : la municipalité de Nyon subventionne le festival de Nyon pour qu’ensuite il lui loue les salles municipales, voyez). Enfin, de l’argent, beaucoup, beaucoup, sur mon nom, alors que rien ne revient aux acteurs – ou presque – ça paraît normal, c’est le système, c’est Avignon, aussi bien – de l’argent pour qu’ait lieu un spectacle – payant, qui plus est – pendant deux jours. Ah, la société est bien gardée, il ne risque pas de lui arriver grand chose ! On n’espère plus que ça de cette ennemie : qu’elle crève, la société ! Qu’elle explose ! Ou bien l’on pense mezza voce, comme le disait si bien Jean Biche à l’annonce de l’annulation : « Enculés ! » Voilà. Mais, pour l’heure, j’étais enfin au restaurant, en ayant pulvérisé tous les feux rouges, avec le Vélib’ de la mort – il avait fallu que je prenne au téléphone Jeanne Balibar, la pauvre, qui, de mes malheurs semblait moins dépressive, tout d’un coup – on a même rit encore des blagues des enfants – par exemple l’enfant de trois ans et demie qui en avait mordu un autre à la crèche – drame, pataquès, engueulade des parents et le père qui demande à son gosse sur le chemin du retour : mais enfin pourquoi as-tu mordu ce camarade ? « Parce que j’avais faim. » Et donc, au restaurant, il n’y avait pas seulement Raphaël Marre, il y avait aussi Eric Da Silva et une femme qui travaille avec lui, Hélène, qui semblait une grande fan (comme j’aimerais en avoir une à mes côté…) Et c’est pour ça qu’on parlait – en préambule – du mystère ou de l’imprécision. Il m’avait dit, Raphaël, il y a un certain temps, qu’il aimerait nous faire nous rencontrer, Eric Da Silva et moi, qu'il était le président de son association. Eric Da Silva ressemble un peu à Guillaume Barbot, j’y ai pensé parce qu’à un moment, il s'est souvenu de ses vingt ans – et là : Guillaume Barbot. Et puis Raphaël a dit ça, que j’ai noté. Il me parlait de mon spectacle, de ma présence, à Avignon, il s’était dit : « Oui, il est au centre, mais, en fait, j’ai ressenti, il est en train de se donner en pâture. On va tous le croquer comme une hostie. » Il avait senti la « dimension du sacrifice ». Il cite ensuite Antony de Antony and the Johnsons qui a dit quelque part qu'il aimerait mourir dévoré par un orque. Eric Da Silva trouve que c'est beaucoup trop rapide. Il cherche par qui, lui, il préférerait mourir : un loup. Maintenant que je suis chez moi, je regarde les orques, sur YouTube, en écoutant Antony and the Johnsons...
Hope there's someone / Who'll take care of me / When I die, will I go...
Hope there's someone / Who'll take care of me / When I die, will I go...
Labels: paris nyon
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