Monday, August 08, 2011

Le Songe de Vaux




Dans le château que nous visitions avec Johannes Schmit, j’étais sensible à quelque chose. J’avais suggéré ce château parce que Johannes, en camping-car, était déjà à Versailles depuis quelques jours. (Ce qui lui avait fait dire, quand nous sommes arrivés, mais par jeu : « Oh, mais c’est nul… ») Johannes racontait qu’il venait de voir Marie-Antoinette, de Sofia Coppola, et s’amusait que Kirsten Dunst – qu’il trouvait excellente –, à la fin de la scène où on l’oblige à rester nue dans le froid pendant que, chacune à leur tour, les grandes dames du royaume défilent pour l’habiller (marque de leur privilège), ait dit d’un ton si spécifiquement américain, si absolument américain : « This is so ridiculous ! » Dans le château et dans le parc, j’avais souvent des flashs de souvenir car j’y étais venu, la première fois, avec Hélèna. Je me souvenais peut-être des photos que nous y avions prises. Le jardin avait été imaginé par Le Nôtre plein de procédés de distorsion qui nous rappelait à tous les deux le film Marienbad. Un jeu entre la perspective naturelle et une autre perspective, énigmatique, une perspective forcée, inventée créait une tension singulière, irréelle. Johannes ne voulait pas m’embrasser avec la langue. Mais je pouvais néanmoins lui mettre la main dans la culotte, ça ne l’intéressait ni ne le dérangeait. Ce qu’il aimait, semblait-il, c’était parler avec moi dans cette langue qu’il maîtrisait très bien et que sa mère – qui avait été élevée dans un lycée français de l’autre côté de la frontière – lui avait apprise. Ainsi, je ne savais jamais s’il m’écoutait vraiment ou s’il écoutait plutôt ma manière. Je faisais attention de répéter et de bien articuler les locutions, les idiotismes. Il s’était amusé, par exemple, d’avoir entendu Laurent Chétouane dire un jour, en allemand, « Ce danseur est maintenant pressé comme un citron, il n’y a plus rien à en tirer. » Ça ne se disait pas du tout en allemand (même si on comprenait). Le château avait servi de décor pour la demeure de l’ancien nazi joué par Michael Lonsdale dans Moonraker (le vilain dans ce James bond), un château qu’il est censé avoir importé de France en Californie. Le millionnaire fou possède aussi la tour Eiffel, mais n’a pas pu la sortir parce que la France n’a pas délivré d’ « export permit », de permis d’exporter. Michael Lonsdale dit dans le film : « First there was the dream, now there is reality. Here in the untainted cradle of the heavens will be created a new super race, a race of perfect physical specimens. You have been selected as its progenitors. Like gods, your offspring will return to Earth and shape it in their image. You have all served in public capacities in my terrestrial empire. Your seed like yourselves will pay deference to the ultimate dynasty which I alone have created. From their first day on Earth they will be able to look up and know that there is law and order in the heavens. » Mais ce n’était pas tout à fait à ce genre de discours que j’étais si sensible au château de Vaux-le-Vicomte. J’étais resté longtemps dans les caves du château (nous en avions aussi admiré les charpentes), devant l’évocation de la prison de Nicolas Fouquet, son cachot, grâce à laquelle on entendait, par voix enregistrée, les mots de Fouquet (tandis qu’un automate les traçait à la plume à la lueur d’une chandelle de suif). « Je songe parfois à écrire mes mémoires. Au fond, à quoi bon ? L’histoire d’une vanité et d’un naufrage, ça ne vaut pas l’encre pour l’écrire. Que les hommes renversés sont pathétiques ! Que j’adorais le raffinement de mon château, les gracieuses arabesques de mes parterres, mes cascades et mes nappes d’eau ! Ne reverrai-je jamais mes orangers ? Qu’est-ce qui nous conduit à nous détruire ainsi ? Quelle forme de vanité allume notre suprême ambition et nous pousse à dramatiser la risible leçon de l’anéantissement ? » Johannes m’attendait depuis longtemps sur la terrasse. A quoi avait-il songé, lui ? Le paysage, maintenant, indiquait l’ouvert. Nous étions passés par le château de la cave au grenier comme un fil enchâssé dans une aiguille. Ça valait initiation. Au-dessus du dôme, nous avions vu les parterres comme il fallait les voir : vus du ciel. Dans la voiture (le Campingbus), Johannes m'a sorti des granules contre la maladie de Lyme. Je lui ai demandé comment cela se faisait-il qu’il avait ça dans ses affaires (parmi, visiblement, tout un assortiment d’autres possibilités). « Parce que je suis homéopathe. » Nous étions revenu à Paris en écoutant une sélection de chansons françaises « very embarassing », ses préférées, San Francisco, de Maxime Le Forestier, Nathalie, de Gilbert Bécaud, Milord, d’Edith Piaf… Une voix que nous n'identifions pas chantait des textes, très beaux, de Jean Genet, « le visage défait par ma littérature... » J’avais juré qu’il n’y aurait pas d’embouteillage, mais il y en avait, j’en étais désolé, peut-être un accident, ou des travaux (souvent au mois d’août…) Nous voulions dîner à La Perle, le lieu où John Galliano s’était fait arrêter. Mais il ne servait pas de nourriture le dimanche soir. A côté, derrière le très beau château du musée Picasso, une pizzeria branchée s’appelait Pink Flamingo et nous commandions, moi, une Ho Chi Minh et, lui, une Basquiat devant un Volkswagen du même genre que le sien, la génération précédente, le sien, celui de ses parents, était des années quatre-vingt – et customisé avec des « LOVE » qui agrandissait, sur le trottoir, la petite salle. Il pleuvait très fort sur les trottoirs de la ville vide que nous aimions tous les deux. Nous restions quand même à regarder la pluie, à écouter les touristes, américains, allemands – il me traduisait ce que l’un d’eux développait : « Si tu ne veux pas te faire agresser, tu ne regardes personne dans les yeux et tu avances comme si tu savais ton chemin. » Lui allait rentrer dans la nuit, il devait arriver en Allemagne vers midi. Je lui ai dit : « Take care », en descendant à La Chapelle. Il me laissait parfois lui parler en anglais, quand mon accent ne l'ennuyait pas trop.

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1 Comments:

Anonymous Henri-Pierre said...

Marie-Antoinette de Coppola est au personnage historique ce qu'un donut est à la grande cuisine, mais j'ai adoré votre parallèle entre Vaux et le Mariembad d'une année reculée de dernière en dernière jusqu'à changer denom. Peu importe, le seul qui compte en mon imaginaire est celui de Seyrig, la comédienne la plus naturellemnt sophistiquée qu'il ait jamais été.
Les préoccupations de Fouquet que vous citez sont exactement convergentes avec ma lecture du moment "Les années sauvages" de Jean Carrière qui me trouble beaucoup car je m'y retrouve.
En votre billet aussi je me suis retrouvé, saluez l'impavide Johannes de ma part. S'il vous plaît.

7:13 AM  

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