700 millions de nouveaux romans
(pour la radio)
Bonjour la France, bonjour l'Atelier, buongiorno, buonasera, je suis à Venise, oui, son nom de Venise dans Calcutta désert, j'y suis, j'ai pris l'easy jet, vaporetto, la Scuola Grande, le Tintoret, un caneau Riva en acajou brillant, une chambre avec vue, le cliché ambulant. J'ai quitté la France à cause de la rentrée littéraire. Vous avez vu comme c'est affreux ? 654 romans et toutes ces phrases sans vie ! Alors voilà, je suis à Venise, ici on ne lit pas, on bouffe des glaces et on prend des photos. C'est tout. C'est magnifique. Je regarde. J'ai vu une grosse chatte blonde sans âge qui draguait près du Lido, c'était Madonna qui sortait de la Mostra. J'ai demandé un autographe pour Jonathan Capdevieille, elle a feulé et m'a griffé au visage, la garce ! Aurait-elle du mal avec la concurrence ?
Sinon Tadzio est très vieux, il a une sclérose en plaque et le crâne dégarni. Tempus fugit. Ici Venise, un milliard de clichés, 700 millions de Chinois et moi et moi et moi. Je suis fatigué. Je reste dans ma chambre. Je regarde Venise par la fenêtre. J'écoute France Culture. A quoi sert de vivre libre sans amour ? Je te le demande mio amore.
Tout à l'heure, en rentrant à l'hôtel, j'ai buté sur un pavé, ah les pavés inégaux de Venise... Je me suis pété un orteil et me suis endormi. J'ai rêvé. Un aigle noir. Ou un piaf, un moineau, je ne me rappelle plus, est arrivé sur moi en traversant le plafond. L'oiseau me forçait à faire des choses. Il voulait que je me rase les cheveux comme Britney. Je l'ai fait puis il m'a forcé à chanter devant la terrasse du Flore. Avec un béret noir posé sur le trottoir pour récolter les pièces jaunes. J'ai chanté à tue tête. J'ai chanté une poule sur un mur qui picore du pain dur, picoti, picota. Les gens se moquaient et applaudissaient. Madonna était encore là, devant un Perrier rondelle. Elle se foutait de ma gueule. Elle me traitait de fausse blonde. C'était mon moment de gloire, j'avais enfin trouvé ma croix, ma via dolorosa, chanteur de rue. J'aurais pu mourir à cet instant. Mourir sur scène. C'est alors que je me suis envolé. Je n'avais pas d'ailes mais je volais comme Superman. J'ai survolé Paris et j'ai adoré Paris. C'est peut-être ça la jeunesse, croire que les choses sont inséparables, les humains et les dieux, les montagnes et les plaines... J'ai volé, j'ai volé, très haut, vers la lune. J'ai vu des montagnes et j'ai continué, tout droit, et j'ai atterri à Venise, juste en face du glacier Alaska. C'est fou, non ? Mais je vous appelle cependant, je vous écris cependant, comme à 18 ans je l'aurais fait. Car, vous voyez, nous sommes pareils, nous nous situons tous les deux dans nos cases respectives, dans nos territoires brûlés, incalculablement narcissiques. La différence entre vous et moi ? C'est que moi je crie vers les déserts, de préférence dans la direction des déserts. Adieu. A Lundi prochain, si vous le voulez bien.
(Olivier Steiner.)
Bonjour la France, bonjour l'Atelier, buongiorno, buonasera, je suis à Venise, oui, son nom de Venise dans Calcutta désert, j'y suis, j'ai pris l'easy jet, vaporetto, la Scuola Grande, le Tintoret, un caneau Riva en acajou brillant, une chambre avec vue, le cliché ambulant. J'ai quitté la France à cause de la rentrée littéraire. Vous avez vu comme c'est affreux ? 654 romans et toutes ces phrases sans vie ! Alors voilà, je suis à Venise, ici on ne lit pas, on bouffe des glaces et on prend des photos. C'est tout. C'est magnifique. Je regarde. J'ai vu une grosse chatte blonde sans âge qui draguait près du Lido, c'était Madonna qui sortait de la Mostra. J'ai demandé un autographe pour Jonathan Capdevieille, elle a feulé et m'a griffé au visage, la garce ! Aurait-elle du mal avec la concurrence ?
Sinon Tadzio est très vieux, il a une sclérose en plaque et le crâne dégarni. Tempus fugit. Ici Venise, un milliard de clichés, 700 millions de Chinois et moi et moi et moi. Je suis fatigué. Je reste dans ma chambre. Je regarde Venise par la fenêtre. J'écoute France Culture. A quoi sert de vivre libre sans amour ? Je te le demande mio amore.
Tout à l'heure, en rentrant à l'hôtel, j'ai buté sur un pavé, ah les pavés inégaux de Venise... Je me suis pété un orteil et me suis endormi. J'ai rêvé. Un aigle noir. Ou un piaf, un moineau, je ne me rappelle plus, est arrivé sur moi en traversant le plafond. L'oiseau me forçait à faire des choses. Il voulait que je me rase les cheveux comme Britney. Je l'ai fait puis il m'a forcé à chanter devant la terrasse du Flore. Avec un béret noir posé sur le trottoir pour récolter les pièces jaunes. J'ai chanté à tue tête. J'ai chanté une poule sur un mur qui picore du pain dur, picoti, picota. Les gens se moquaient et applaudissaient. Madonna était encore là, devant un Perrier rondelle. Elle se foutait de ma gueule. Elle me traitait de fausse blonde. C'était mon moment de gloire, j'avais enfin trouvé ma croix, ma via dolorosa, chanteur de rue. J'aurais pu mourir à cet instant. Mourir sur scène. C'est alors que je me suis envolé. Je n'avais pas d'ailes mais je volais comme Superman. J'ai survolé Paris et j'ai adoré Paris. C'est peut-être ça la jeunesse, croire que les choses sont inséparables, les humains et les dieux, les montagnes et les plaines... J'ai volé, j'ai volé, très haut, vers la lune. J'ai vu des montagnes et j'ai continué, tout droit, et j'ai atterri à Venise, juste en face du glacier Alaska. C'est fou, non ? Mais je vous appelle cependant, je vous écris cependant, comme à 18 ans je l'aurais fait. Car, vous voyez, nous sommes pareils, nous nous situons tous les deux dans nos cases respectives, dans nos territoires brûlés, incalculablement narcissiques. La différence entre vous et moi ? C'est que moi je crie vers les déserts, de préférence dans la direction des déserts. Adieu. A Lundi prochain, si vous le voulez bien.
(Olivier Steiner.)
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