Des livres de chevreuil
Des enfants & des débiles dans le train.
Evidemment je reste parce que.
« Y a plus d’soleil », prévient le débile de sa voix métallique. (Ce n’est pas encore vrai.) Avec le soleil, il a de quoi tenir. Son père a rabattu le store pour les ordinateurs. « C’est quand, il s’couche, le soleil ? »
« Maman ? – Oui, mon gars ? »
« Ce matin, j’ai dû leur foutre un coup de pied au cul pour qu’ils aillent à l’école. – Coup de pied aux fesses ? », retouche le compagnon en relevant la tête. (Elle est debout.) Mais, à peine plus tard, il est repris à son tour par le contrôleur qui pointe avec son stylo la chaussure qui frôle le siège d'en face. « Mauvais exemple aux enfants », dit le contrôleur. « Il parle avec son papa, papa, le p’tit garçon. » C’est le débile à la voix de robot, très actif, en fait. Il fait un sapin sur son ordinateur, si je me penche. (Ici, dessin du sapin géométrique.) Oui, il y a une richesse, oui, il y a une santé, le maïs qu’on ramasse, les emblavures, chaudes emblavures, vertes emblavures, ciels emblavures, tout au pluriel, avec ces traits d’hiver, traces de peinture, griffures de zèbre dans le ciel.
Le ciel est si vaste & je te parle.
Des huîtres & je vois… un sexe féminin (dans le magazine, après avoir lu un article sur les grosses : « Le poids, un problème de taille »). Les enfants babillent, s’extasient du jeu sur l’iPad, « Maman, regarde… les oreilles de lapin… » Je n’entends plus tout, j’ai mis mes bouchons. Je vais à ma rencontre. Il est pour rien, ce voyage. Cette phrase a déjà été dite, la première, dans des romans que je n’ai pas lus, j’en suis sûr. Ou peut-être que j’en ai lu certains. Elle est tout comme. Je vais à ma rencontre. Il est pour rien, ce voyage. Il va vers moi. Il lorgne vers moi. Il roule. Au milieu des enfants et des débiles, dans la lumière rose-bleu pastel, l’amitié du monde. Oui, vers l’est, c’est rose-bleu & vers l’ouest, c’est encore clair. Le train, tous les trains, finalement, sont entourés de la mer. Les rails sont au milieu du paysage. Paysage rond, liquide, allongé, languissant, paysage doré ou de solitude, paysage pour les yeux, la terre est longue... Les savants découvrent & découvrent des exoplanètes, oui, ils les découvrent... Je reprends : je vais à ma rencontre. Je me suis habillé de gris, de couleurs accordées, fougère, fougère brûlée, gris carrelé, gris carrelé. J’ai (dans mon sac) un col en bélier, kaki. Des chaussures trop grandes. Cette année, je mettrai des semelles. Le paysage est une énorme semelle de diamant. Le débile répète & répète : « Demain, il pleut. Demain, il pleut. » La France est dans un état de très grande beauté, c’est un fait. Le violet, le rose, l’ourlé. Il y a dans la vitre le visage déformé du bébé. C'est très beau, c'est très drôle. J'aimerais prendre une photo. Le paysage me montre son visage comme une loupe. Qu’il est joli, ce clair de lune, ce coucher de soleil clair ! Qu’il est infini ! Que l’automne est mystérieux ! La nuit, maintenant bleu brouillard, comme elle va vite avec les lampes ! Je lis une phrase de Camille : « Le hasard est le moyen de transport qu’emprunte Dieu pour voyager incognito. » Toutes les citations avec le mot « Dieu » dedans me plaisent, c’est si oublié… Aussi : « Mon rapport à la musique est physique & métaphysique. » J’écris ceci sur un nouveau carnet, le train file vers Bourg-en-Bresse. Je m’applique, pour une fois – qui lira ? « L’espèce humaine est, d’après moi, une espèce musicale... »
Dans cette ville, à mon arrivée, quand je relevais la tête, je lisais : « Ambassade d’Asie » (un restaurant) & « L’Immobilier actif ». Le soir, je regardais Macbeth, au théâtre municipal : « Viens, nuit épaisse... »
Labels: noces d'or
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