« Dans des régions sauvées par la mort »
Ce matin, comme cette nuit, comme tous les jours, James (prononcer à la française et sans le s), confident, James est comme un chat, c’est-à-dire, il ressemble à un homosexuel, mais se laisse toucher, se laisse caresser, embrasser comme un animal, un chat, il ressemble à un chat, c’est-à-dire, je passe des heures à le caresser, à le frotter, moi à me frotter contre lui – et il finit dans la chambre de Kate –, bref, on devient ami (assez de détails) et donc je lui parle de Pierre, il veut aller sur son blog, il tombe sur une archive, un texte que je relis et que je recopie ici, un texte qui me cite. Michel Houellebecq dit souvent que le conseil qu’il donnerait à un jeune romancier serait de « ne jamais oublier que le lecteur fait cinquante pour cent du travail » – il tient beaucoup à ce pourcentage : cinquante pour cent –. Eh bien, pour moi, structure narcissique insatisfaisante, grevée de néant – et d'espoir –, je n’ai jamais pu lire mes textes que s’ils étaient lus par d’autres. D’abord des lettres, par exemple, reçues par Marguerite Duras (qui me disait : « Tes lettres, je les garde toutes, elles sont dans le tiroir de cette commode, un jour j’en ferai un livre... ») Ensuite Domaine de la Jalousie, par exemple, premier spectacle que j’ai donné ici, à Marseille, pour l’acteur Guillaume Allardi, d'une écriture révélée par sa lecture quasiment sans faute de sens (sens que j’ignorais). Ensuite, bien entendu, c’est l’histoire de ma vie, cet échange entre Pierre et moi, de blog à blog. Ce sont les trois étapes qui m’ont permis, par intermittence, de me croire écrivain (mais aussi bien, filmés par Patrick Laffont, par exemple, mes spectacles, de me croire artiste, auteur-metteur en scène, par exemple). Liliane Giraudon me propose de publier un livre dans la collection qu’elle dirige dans la nouvelle maison d’édition que met en place son fils, Marc-Antoine Serra. Et, forcément, je pense immédiatement : qui va faire le travail à cinquante pour cent ? Olivier Steiner... Pierre...
« A la télé il y a un débat sur le goût français: sur le plateau, on revient sur l'exposition des résines de Murakami à Versailles. Marc-Edouard Nabe parle des croûtes de Versailles, et rappelle que Louis XIV a lui-même joué les travestis dans une pièce de théâtre. Il parle du côté fun, drôlatique, successfull de Koons et Murakami. Laurent Fabius parle de l'effort méritoire pour aller vers l'art contemporain, et cite Picasso: « L'art, c'est comme le chinois, ça s'apprend. » Il parle aussi du Lonesome Cowboy, vendu quinze millions d'euros, jeune blondinet faisant un lasso de son sperme. Il conclut sur la faiblesse de Murakami, à quoi s'oppose Jean-Jacques Aillagon, qui prétend ne pas aimer Renoir, à la différence de Fabius, qui demande, interloqué: « Vous n'aimez pas... tout Renoir?... Vous faites un blocage psychologique? » A l'écran, la problématique, en sous-titre: « Versailles, galerie d'art contemporain? »
Entretemps j'ai relu le rapport de stage de Renato, tout en échangeant par intermittence avec Benjamin sur msn, où je ne m'étais pas connecté depuis plus d'un an. Benjamin est à Montréal cette année, il prépare une thèse, m'envoie une pièce de théâtre qu'il a écrite.
Il y a eu surtout ce sms d'Yves-Noël, en début de soirée, qui commençait ainsi, fulgurant: « Âme, j'ai failli perdre le regard dans le train, tout à l'heure. Maintenant, ça va. Mais j'ai pensé comme j'étais désolé de ne pas avoir pu être à la hauteur de l'espérance de notre amour. [...] »
Je lis sur son blog:
« J’avais mal à l’œil, mais le monde réussissait à être le plus beau que j’avais jamais vu, comme si j’allais mourir ou si, comme je l’espérais, j’étais juste très fatigué. Je m’étais allongé et j’avais fermé l’œil comme sur le noir du café. Et je les avais rouverts dans des hauteurs comme si la terre touchait le ciel. Je n’avais plus de sexualité, mais j’engageais des acteurs qui en avaient. Je ne les payais pas, mais les putains, les vraies, sont celles qui font payer pas avant, mais après. L’acteur m’offrait son cul, sa sexualité massive et rebondie, ses sécrétions comme il les offrirait à tous. Le ciel touchait la terre avec les vaches et tout, tout ce que j’étais en train de voir pour la dernière fois. J’avais énuméré dans ma tête les livres du XXème siècle que j’avais aimés et qui pouvaient entrer dans la catégorie « science-fiction » (puisque Michel Houellebecq avait dit quelque part que la seule littérature valable au XXème siècle avait été la science-fiction). Oui, après tout. J’essayais d’imaginer que les livres que j’aimais du XXème siècle entraient dans cette catégorie. (Excepté la poésie qui n’est d’aucun siècle et, toujours, de toute façon, une cosmogonie.) Voyage au bout de la nuit, oui, c’est de la science-fiction. A la recherche du Temps perdu, Les Vagues, Moderato Cantabile, Le ravissement de Lol V. Stein, oui, à l’égal des Chroniques martiennes. Disent les imbéciles, Les Fruits d’or, Entre la vie et la mort, science-fiction. Les Georgiques, La Route des Flandres, Tombeau pour cinq cent mille soldats, Eden, Eden, Eden, science-fiction. Coma, Formation. Kafka, Borges, Gombrowitch, Nabokov. Pessoa (avec les hétéronymes: science-fiction). Le Bleu du ciel, Ma mère, oh, j’arrête là! Ma mère, science-fiction. Modiano, Handke, Strauss, Simenon. Rauque la ville, science-fiction, c’est vrai. La ville rauque, c’est vrai. L’aspect contemplatif du monde est absolument sans menace. J’avais la sensation extraordinaire de glisser au-dessus du monde. L’ordinateur vibrait sur la table, mais, moi, à travers ma respiration difficile, j’avais la sensation de glisser, la sensation technologique. J’étais heureux d’être recueilli. Les gros nuages moelleux s’échappaient de mon cœur. Je ne pourrais bientôt plus écrire. Il y avait tout près… tout était là… Tout était de nouveau découvert. Ecrire n’était jamais décrire car tout était vivant. On ne pouvait rien toucher (de cette manière). On ne pouvait rien toucher d’aucune manière. La terre touchait tout. Et le ciel ne s’envenimait pas. Le ciel reflétait, (…), modérait. Redorait. La lumière, c’était la lumière. C’était ce que je n’allais plus cesser de ne jamais voir. Ma maladie. – » »
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