Saturday, February 25, 2012

La Rue éternelle




« Regarde cet instant ! nain ! De cette porte nommée Instant une longue rue éternelle va en arrière ; derrière nous s’étend une éternité.

Ne faut-il pas que tout ce qui sait courir ait déjà suivi cette rue en courant ?

Ne faut-il pas que tout ce qui peut arriver soit déjà une fois arrivé, ait déjà été une fois fait ou soit déjà passé une fois en courant ?

Et si tout a déjà été, alors que t’en semble de cet instant, nain ? Ne faut-il pas que cette porte ait, elle aussi, déjà, été ?

Et toutes les choses ne sont-elles pas ainsi fermement liées, de telle sorte que cet Instant entraîne derrière lui toutes les choses à venir. Donc – lui-même, aussi ?

Car tout ce qui peut courir : il lui faut encore une fois courir, tout le long de cette rue devant nous ! –

Et cette lente araignée qui rampe dans la lumière de la Lune, et cette lumière de la Lune elle-même, et moi et toi, sous cette porte, chuchotant ensemble de choses éternelles – ne faut-il pas que nous ayons tous déjà été ?

– et revenir et courir dans cette autre rue, droit devant nous, dans cette longue rue horrible, – ne nous faut-il pas revenir éternellement ? »

Ainsi parlai-je, et toujours plus bas : car j’avais peur de mes propres pensées et de mes propres arrières pensées. Alors, tout à coup, j’entendis, tout près, un chien hurler.

Ai-je jamais entendu un chien ainsi hurler ? Ma pensée est revenue en arrière. Oui ! Comme j’étais enfant, au plus loin de mon enfance,

– alors j’entendis un chien hurler ainsi. Et je le vis aussi, le poil hérissé, la tête dressée, tremblant, à l’heure de minuit la plus silencieuse, où les chiens, eux aussi, croient aux fantômes :

– au point que j’en fus pris de pitié. Car justement la pleine Lune passait dans un silence de mort, arrêtée justement, ronde flamme, sur le toit plat de la maison comme sur la propriété d’un autre.

– c’est de cela que s’effraya jadis le chien, car les chiens croient aux voleurs et aux fantômes. Et lorsque, de nouveau, j’entendis hurler ainsi, je fus de nouveau pris de pitié.

Où était allé maintenant le nain ? Et la porte de ville ? Et l’araignée ? Et tout le chuchotement ? Rêvai-je ? M’éveillai-je ? Tout à coup j’étais debout entre des falaises sauvages, seul, désert sous le plus désert des clairs de Lune. »

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