Monday, March 19, 2012

La Débutante

Objet : Précisions (Naviguer, c'est précis...)



Mon Yves-No, my dear,
Juste, parce que cela m'est venu dans la nuit, quelques précisions sur ce bonheur calme dont je te remerciais hier par sms...
Ce que j'ai adoré dans Chic By Accident, cela a été de me sentir débutante. Timide en fait, cherchant à ne pas abîmer ce qui existait déjà beaucoup avant que je ne vous rejoigne... Timide, mais tranquille, pas timide et apeurée et obligée de prendre d'assaut le centre (obligée au sens français et au sens anglais : contrainte et reconnaissante) comme je l'ai été à mes débuts... Ça m'a impressionnée que tu me racontes que quelqu'un avait pensé au baiser de Dom Juan parce que moi je n'y pensais pas du tout. A ce moment là de la pièce, je pensais plutôt être une troisième Phèdre. Comme si Wagner avait eu affaire à 3 Phèdre en rafales, Marlène, Valérie, moi, 3 visages de Phèdre. Et cela me plaisait beaucoup parce que cela me faisait penser à ce que j'avais tellement aimé dans le Hamlet de Vanves: voir plusieurs visages d'Hamlet présentés par plusieurs acteurs et qui représentaient – sans les artifices du rôle d'emblée distribué à plusieurs – l'infinie multiplicité de ce qu'est un grand personnage de théâtre. Tu sais comme j'aime aussi retrouver les traditions (donc j'aime aussi le « personnage »). D'ailleurs, du coup, j'adorais cette histoire qui s'était nouée toute seule autour de mon désir de Phèdre : avoir apporté le livre, vous l'avoir laissé, qu'il ait construit le spectacle en mon absence, jouer le rôle sans le jouer, en partager la responsabilité sans même en avoir parlé... Mais si je n'ai à aucun moment pensé à Dom Juan, j'ai beaucoup pensé à la cour d'Honneur, surtout quand tu nous demandais d'imaginer l'univers au moment des saluts, mais à d'autres moments aussi. Je replongeais chaque soir avec un bonheur indicible, irracontable, dans ce premier moment de ma vie d'actrice, cette scène primitive : la toute première fois sous les étoiles, c'est quand même incroyable...! Et je me disais, mais c'est fou, c'est littéralement impensable, d'avoir eu des débuts à ciel ouvert, cosmiques, comme si c'était Epidaure... Donc, oui, j'étais ramenée au commencement, mais c'était comme si au lieu que ce soit trop brutal et trop central comme début, cela respectait cette fois ma timidité foncière – ma réserve naturelle. Car je prends beaucoup conscience en ce moment d'être naturellement réservée, infiniment plus que ce à quoi m'ont exposée, amenée, provoquée, ce grand miracle et ce grand cadeau que sont bien sûr ma présence. Timide aussi, d'une timidité que mon fils Pierre m'apprend à aimer, lui qui dit toujours « Je suis timide », alors qu'il est aussi si solaire et si exubérant, mais il ne cède pas d'un pouce pour faire reconnaître son droit à la timidité. Bref, j'ai plus qu'aimé, j'ai ressenti comme vital, d'avoir pu sous ton regard donner pleinement droit de cité (puisqu'on remonte jusqu'aux Grecs, soyons cohérents) à la discrétion, d'avoir pu la chérir en scène autant que je le fais dans la vie ! C'était pour moi comme de tout recommencer. C'était merveilleux. Merci grand et véritable ami ! Et donc, oui, du coup, peut-être ai-je inconsciemment repris les choses en leur début, repris les choses au baiser de Dom Juan : formidablement amusant me suis-je dit ce matin en me réveillant !
Mille baisers de printemps
Jeanne



Débuter, c’est ce qu’un acteur ou une actrice peut vraiment espérer toute sa vie et tu le montres bien, toi, toujours prête aux nouvelles aventures les plus improbables et surprenantes (ton art est aussi de les trouver et de les susciter). Oui, tu as un savoir du bonheur qui passe par les débuts ! Comme Handke disait, « Passe par les villages ». Content que tu tiennes en ton jardin les nouvelles exactes du printemps parisien ! Et content des résonances légères des rôles immenses que tu transportes – en les allégeant toujours, en les subtilisant. A très bientôt, très chère

YN

Au fait, Jean-François, il a détesté ou quoi ?
Dominique I. ne va pas à son expo demain, mais y sera mercredi. Je passerai peut-être en début d'après-midi (à 14h45, j'ai rendez-vous aux Beaux-arts) ou en fin de matinée, elle me dit demain ses impératifs, je te dis...

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