Tuesday, April 24, 2012

Miroirs et misères des courtisanes


(feuille de salle Bologne)



Ce travail est un échec. Ce que nous voulions vous présenter, spectacle invisible, devait être répété en quatre répétitions, ce qui était déjà une gageure, mais, sur ces quatre répétitions, deux ont été annulées, l’une par la présence, dans ce même salon, d’une association de voile pour une dégustation de vin, l’autre même par l’intervention des carabinieri appelés par les accompagnants d’un groupe d’adolescents du sud de l’Italie en voyage à Bologne (et résidant dans l’hôtel). Ce travail devait s’expérimenter dans la « vraie vie », c’est-à-dire se jouer sans rien déranger de ce qui se déroule, ici, de la vie d’un hôtel. Utopie ! Utopie… C’était sans doute une ambition stupide pour prouver quoi ? – car le spectacle existe en permanence dans la vraie vie et ça ne dérange personne. Qu’aurions-nous montré de plus ? Rien. Aujourd’hui, pour signer cet échec, cette impossibilité, nous vous invitons simplement à prendre un verre avec nous dans les locaux où aurait eu lieu le spectacle.



Déclaration :
Nous sommes un groupe de théâtre, nous sommes répertoriés dans un festival officiel, je veux dire qui a pignon sur rue, qui n’est pas clandestin, mais, dans la mesure où n’importe qui peut s’estimer officiellement chez lui sur notre scène et appeler même les carabinieri pour nous empêcher de travailler, il est évident que nous ne pouvons pas travailler. Car nous ne sommes, en fait, que des travailleurs. De sympathiques travailleurs. De scène. Domaine public. Beaux-arts. Sous-ensemble : spectacle vivant. Si ce domaine n’est pas sanctuarisé, protégé – comme peut l’être, par exemple, et suivant les lieux et les époques, une période de carnaval –, nous ne pouvons pas risquer de travailler. Il ne nous intéresse pas du tout de provoquer la société, nous voulons simplement qu’elle nous fiche la paix, comme la plupart des gens. Nous voudrions d’ailleurs autant être protégé par elle, la société, que ne l’étaient les artistes de cours, à d’autres époques ; ce que nous voulons, c’est l’art pour l’art, le culte de la beauté, dans une utopie réservée, mécénée. Qu’on nous fiche la paix. En gros. Un spectacle se doit de ne déranger personne, c’était donc cela l’utopie, dans le hall d’un hôtel, et nous l’avions acceptée avec enthousiasme, par contrat, pour précisément cette raison : nous ne voulons rien déranger. Comme le héros d’Herman Melville, Bartleby, nous préférerions ne pas ; « I would prefer not to », dit-il toujours. Mais c’était aussi, par contrat, tomber dans un piège. La  société se méfie encore plus, peut-être, de celui qui ne lui veut pas de mal. Elle l’attaque en justice – au cas où. Elle s’en méfie, en tout cas. L’art pour l’art, c’est, par définition, une ruse. La société de l’avoir n’accède pas à l’ être. Elle détruit – par définition – l’existence du pacifisme. Il est trop risqué pour nous d’essayer de vous présenter, ce soir, quoi que ce soit : nous sommes trop vivants pour qu’on nous foute la paix et nos nuits sont plus belles que vos jours… Allons boire à nos déboires et partageons l’amour sans espoir spectaculaire !



Yves-Noël Genod

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