Je ne suis pas Hervé Guibert
Cela
n’a pas de rapport avec rien, je veux dire avec l’actualité massive du moment,
ce spectacle du théâtre du Rond-Point qui dessine l’informe, la vie, c’est si
difficile, ça peut être si beau, tant de gens en ont parlé, tiens, Nathalie
Sarraute dont j’ai racheté le plus beau livre : Entre la vie et la mort, oui, entre la vie et la
mort, au Rond-Point, c’est l’actualité, mais ce texte est si beau, je le relis
ce soir une deuxième fois, il est d’Olivier Steiner et il parle clair, il parle
juste, je sais aussi que cette justesse vient de la présence de Pierre que je
connais… Le bien que m’a fait Pierre, je le lui vois aussi le faire sur
Steiner.
Négatif
« Je suis avec Pierre, j’aime Pierre et je suis amoureux de Pierre.
Trois
semaines que j’ai la peur au ventre, en silence, comme un secret de malheur.
Parce
qu’il y a Pierre j’ai fait une prise de sang. Des années de que je n’avais rien
fait, voulais pas savoir, politique de l’autruche.
Avec
Pierre c’est tellement bien que je cherche le problème, que je l’attends et le
redoute. Est-ce que je le désire? Le problème je veux dire, est-ce que je le désire?
Depuis
tout petit je conjugue Eros avec Thanatos.
Bohème
c’est ça, Eros qui se fait bouffer par Thanatos.
Avec
Pierre c’est différent. Pas de Thanatos. Ou si peu. A tel point que ça me désarçonne.
Sans Thanatos je suis en terrain inconnu.
Alors
il y a trois semaines je me suis dit que le problème était sûrement dans mes
veines. Caché mais bien actif dans la lymphe de mon sang.
J’ai
fait part de ma crainte à Emmanuel Lagarrigue. Emmanuel m’a dit que non, ce
serait too much, too much to be true.
Moi
je sais que ce n’est pas too much, je sais toutes les conneries que j’ai faites
ces dernières années. Complexe de Superman.
Je
ne me suis pas réellement mis en danger mais le danger, je l’ai tellement côtoyé…
Et
puis il y a de ces heures entre 3 et 5 du mat, de ces heures qu’on oublie si
vite, on sait juste qu’elles furent, ces heures, mais on ne veut plus savoir.
Les
résultats, ça fait dix jours qu’ils m’attendent. Dix jours que chaque jour je
me décide à aller les chercher, du pas lourd du condamné à mort, dix jours que
je n’arrive pas à trouver le bon moment.
J’en
reviens. Soleil aujourd’hui, ciel bleu et soleil, je me suis dit au moins,
quand je sortirai de l’hôpital, il y aura ce beau temps dans le ciel, pour m’accompagner.
Négatif.
Négatif
sur toute la ligne. Je n’en reviens pas.
Ag.Ac
anti-VIH 1&2 : Négative
Antigène
HBs : Négative
Anticorps
anti-VHC : Négative
Syphilis
Elisa : Négatif
Syphilis
VDRL : Négatif
Chlamydia trachomatis : Négatif
Neisseria
gonorrhooeae : Négatif
Mycoplasma
genitalium : Négatif
Je
suis passé entre les gouttes.
Je
ne suis pas Hervé Guibert.
Le
pire n’est jamais sûr.
Peut-être
qu’il est temps que j’arrête de cauchemarder ma vie. J’ai trente-six ans. Peut-être
qu’il est temps que j’arrête avec ce romantisme noir.
Pierre
est la pierre sur laquelle je bâtirai mon Eglise. Ce sera une Eglise de vie. Je
n’étais pas préparé à ça, moi, l’oiseau de malheur.
Il y a quelques jours,
Pierre, Noël Herpe et moi, nous nous sommes retrouvés au Centre National du
Livre pour assister à une rencontre avec le vieux Michel Butor.
Pierre
a raconté la scène sur son blog, www.pierrecourcelle.com, titre de l’article :
Reine des facultés.
Pierre
a passé sous silence quelque chose. Juste avant que Butor ne commence, un jeune
garçon, de ces garçons dont la beauté s’impose, est venu s’installer juste à côté
de moi, à ma gauche, c’était la dernière place libre. Pierre était à ma droite.
Grand, brun, peau blanche et yeux bleus, le garçon a juste demandé d’une voix
basse si la place était libre. Il a parlé dans un grand sourire. Le sourire de
ceux qui savent qu’on ne leur refuse rien. Même pas d’arrogance, juste le calme
et l’assurance de la beauté. Comme du vif-argent, j’ai vu ce léger trouble
traverser le visage de Pierre. Oh, je ne parle que d’une fraction de seconde
mais cette fraction est de ces fractions qui vous pincent le coeur et vous le
font battre un peu plus vite. Jalousie sourde et inquiète. Butor s’est mis à
parler. Le garçon à ma gauche prenait quelques notes, le plus sagement du
monde. Son épaule et son bras droits venaient par instant se coller à mon épaule
et mon bras gauches. A chaque fois que le contact avait lieu, ma gorge se
serrait, une boule de feu grossissait dans mon ventre. A ma droite, omniprésent,
Pierre. Ce qui me faisait le plus de « mal », ce n’était pas mon illusoire
et fantasmatique infidélité, c’était que le garçon à ma gauche puisse exister
dans le monde visible de Pierre, que Pierre puisse le voir, le désirer, le
toucher, fut-ce en pensée. Comme on se fait souffrir pour de petites choses.
Comme le sentiment amoureux peut être tordu, manipulateur, mesquin, égotique.
Il
y aura encore beaucoup de garçons assis à ma gauche. Dans mon monde et dans le
monde de Pierre. Des garçons page blanche, promesse incertaine et absolue,
petits dangers de vingts ans. Bombes atomiques en puissance.
Il
faudra faire avec. Les ignorer, les tenir à distance ou coucher avec, par
exemple avec Pierre. Coucher avec pour mieux les annuler. Coucher avec pour
flirter avec le danger, pour vérifier, pour mesurer.
Mais
la vie, la vita nova, le futur, l’avenir, l’avenir-roman comme dirait Camille Laurens,
l’histoire d’amour, la vie commune, c’est avec Pierre. Pour toujours. »
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