La Peur

Pourquoi Dieu me fait-il ça ?

C’est épouvantable, je ne vais pas tenir encore dix-sept représentations… La représentation était très, très belle, encore une fois, dans un gris sombre, somptueux, avec l'orage, la pluie, mais départs, départs, départs à l’infini… Ce n’est pas une question de durée (bien sûr !) : les gens partent au bout de dix minutes… et n’arrêtent pas. Même aux moments les plus forts, ils partent. Je ne peux même pas dire aux acteurs : « Quand vous vous relâchez, ils partent » : même aux moments les plus sublimes, ils partent – comme un seul homme. Détournent les yeux, le corps, tout. Sont dégoûtés. Est-ce que je fais encore partie de l’humanité ? Comment font les hommes politiques pour supporter ça ? Les troupeaux… On a beau leur offrir tout ce qu’on peut, leur sourire à n’en plus finir, ils vous crachent à la gueule. Je me suis fait insulter par une sadique, traiter d’imposteur, de nul, impossible de la virer du gradin, j’appelais la sécurité, elle restait pour déverser sa haine, elle était restée pour ça, m’a-t-elle dit. Je ne sais pas ce qu'elle voulait, me voir mourir sur pied, m'effondrer en larmes : oui, je suis un imposteur, un nul, oui, les acteurs sont des figurants, oui, l'actrice qui lit est stupide, elle lit très mal, et l'auteur inaudible – y en a un ? au chiotte ! oui, on a voulu vous faire du mal, Madame, d'ailleurs, si vous continuez, je vais vous foutre mon poing sur la gueule, vous balancer par dessus le parapet, ça complétera le tableau ! Tant qu'à parler de désastre... Je ne vais pas tenir. Où est l’âme ? Où est leur âme ? Qu’ils aient des mottes de glaise sur les yeux… mais leur âme ? Où est-elle ?