Depressive realism
« Everyone carries a room about inside him. This
fact can even be proved by means of the sense of hearing. If someone walks fast
and one pricks up one's ears and listens, say in the night, when everything
round about is quiet, one hears, for instance, the rattling of a mirror not
quite firmly fastened to the wall. »
Laurent me demande de parler un peu de cette histoire
sexuelle à laquelle je fais souvent allusion, mais qui semble incohérente.
« Eh bien, j’aime les femmes, mais je suis amoureux des garçons. –
Ah, ça, je comprends », dit-il immédiatement (cerveau puissant). « Je
comprends, mais c’est la première fois que je rencontre quelqu’un comme
toi. » En effet, je me demande (encore hier, dans cette fête dans le
squat) pourquoi je ne tombe pas sur des gens qui auraient la même bizarrerie
que moi, pour au moins en parler, se remonter le moral, les nains rencontrent
bien des nains, etc.
Laurent raconte que sa mère lui a dit qu’il a marché
très tôt, mais qu’il a mis très longtemps à traverser les espaces, il avançait
en touchant les murs. Je lui dis alors que peut-être chacun développe un
travail contre un handicap, une sensibilité première extrême, je donne
l’exemple de Claude Régy qui – je l’ai déjà dit ici – place sans cesse la mort
et la folie au centre de tout alors qu’il en a très peur. Laurent est d’accord.
Il travaille sur l’air, sur le vent. Il me parle de sa nouvelle pièce sur la musique du Sacre du printemps qu’il travaille
avec l’air (alors que la pièce est traditionnellement reliée à la terre, au
territoire). Il me montre des photos où on voit en effet, en studio, la force
sidérante du travail – sur certains danseurs, sur Mathieu Burner en
particulier. Il me dit : « C’est presque plus un ballet tellement
c’est tridimensionnel. » Première le 27 septembre à Essen.
Je lui dis que ce qu’il propose, c’est s’approcher de
la débilité. Penser à travers (avec) le corps. (« S’il pense avec la tête,
c’est mort. ») Au passage, c’est la première fois que je comprends le mot
« corps » (par rapport à la danse), tellement employé. Je parle des
dernières expériences de Claude Régy (Brume de Dieu), de Jérôme Bel (Disabled Theater). Il est d’accord et il ironise un peu sur Jérôme Bel
(spectacle qu’il n’a pas vu). Il ironise sur tout, Laurent Chétouane. Mais je
lui rabats son caquet en disant : « Attends, Laurent, n’oublie pas
que tu es plus fort que tout le monde… »
Et j’insiste beaucoup pour qu’il me laisse étudier à ses côtés. Il promet. Même
sans être assistant, je m’en fiche. Il trouve toujours des jeunes très beaux,
très gracieux, disponibles. (Il couche avec ou, en tout cas, il les a sous les
yeux.) Il voulait me montrer une répétition du Sacre, à Avignon, quand il a su que je venais à Berlin,
mais, là, ce n’est plus possible. C’est une période très dure, les danseurs
pleurent, etc. On parle de l’incroyable difficulté de ce travail, de
l’incroyable difficulté de ce que faisait Mikael Marklund à Avignon pour avoir
« l’air » simplement disponible, l’innocence, sans défense aucune. Il
me dit qu’il avait repéré que Mikael Marklund, chez Anne Teresa de Keersmaeker,
travaillait (déjà) sur l’espace (contrairement aux autres). Il me dit qu’il a
moins bien joué (selon lui) quand il est parti des représentations (il
reprenait les répétitions du Sacre),
que Mikael lui dit que c’est un duo, qu’il ne pouvait pas le faire seul. Je dis
que Christian Rizzo m’a dit la même chose, que c’était un duo entre lui et
Kerem Gelebek. Et je raconte que, quand Thomas Gonzalez a raté la dernière représentation
de la Bastille, alors que j’étais suspendu à lui en priant chaque seconde pour
qu’il trouve le passage, il m’avait dit après : « Je ne te
sentais pas ». Sans parler de Claude Régy... (Voilà la question des solos réglée : ça n’existe pas : ce
sont des duos.)
Je parle de la façon dont l’espace changeait dans la
pièce sur l’air (sur rien), à Avignon, la taille du danseur dans l’espace, je
lui raconte que Thomas Scimeca faisait changer l’espace dans Monsieur
Villovitch.
Il me dit qu’il se sent de plus en plus hétérosexuel.
Il n’est pas avec une fille, mais il remarque qu’il est de plus en plus
sensible aux filles et moins aux garçons. Il se demande un peu ce qu’il lui
arrive.
Labels: voyage berlin
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