Comme une poule devant un couteau
Pendant
deux secondes, je me demandais dans quelle chambre j’étais. Je n’étais pas chez
moi : c’est donc que la vie est libre. En plus, la chambre vaste baignée
dans une chaude lumière. Berlin. Berlin continentale. Là aussi, j’étais venu
avec le beau temps, il n’avait pas fait beau jusque là. J’étais triste pour la
Bretagne – pour les gens de Bretagne que j’aimais – les gens-paysage – qu’il
fasse désormais, après mon départ, mauvais. Ce que j’écris, je ne suis pas loin
de le penser : j’étais un peu sorcier dans ce voyage, je n’étais pas tout
à fait « moi » dans ce voyage. « Moi » était une personne
très triste, mais je n’utilisais pas beaucoup « moi » dans ce voyage.
J’utilisais la voiture de mon père, je ne dormais pas chez « moi »,
j’utilisais la liberté. La surface. La capacité de regarder les autres (les
autres-paysage), d’aller chez les autres, ma capacité de déceler le paradis –
le paradis sur terre – capacité pour laquelle je m’étais entraîné, aguerri dans
le dernier travail, au Rond-Point, Je m’occupe de vous personnellement (et toute l’année où j’avais beaucoup travaillé).
J’avais encore triché. J’avais
encore fait croire à tout le monde que je travaillais pour les autres (théâtre,
comédiens, spectateurs) ; en fait, j’avais réussi encore à faire ce que
je voulais, une fois de plus, à ne
faire que ce que je voulais : travailler pour ma pomme, travailler à
déceler, à acquérir de l’adresse, de l’entraînement, au décèlement du paradis
sur terre, du paradis terrestre, ceci en vue de survivre, moi, sans avoir besoin de « moi », de survivre
quelques temps en voyage, en illumination-paysage, en poésie, en présence –
sans la tristesse, sans la dépression, sans la misère, sans l’enfer des
relations humaines que j’avais décelé, malheureusement aussi, en décelant le
paradis. « Déceler », ce mot qui revient est vraiment l’image de la
pierre, mais tout est image de la pierre, le lecteur de ce blog, depuis quelques
années, l’aura compris. Arnaud me l’avait gentiment fait remarquer la
veille : que je ne m’empêchais pas de ne parler que de Pierre, Pierre
ceci, Pierre cela, Pierre Courcelle et de réenvoyer à son blog pour toujours et
à jamais. Ah, ça se voyait à ce point ? J’avais raconté à
Arnaud la brouille fictive (pour moi, fictive), l’impulsion de jalousie
d’Olivier à partir d’un texte anodin qui s’était terminé par l’explication
d’Olivier à Pierre : « Nous
sommes deux coqs (cocks) qui nous battons pour toi. » « Nous »…
Je ne me reconnaissais pas du tout dans ce « nous », encore une fois
Olivier voyait midi à sa porte (j’avais pensé), je ne me battais pas du tout et
je n’étais pas un coq. Je lui donnais au contraire Pierre en entier, tout en
entier, surtout. Mais j’avais trouvé – en lisant – je parlais toujours à Arnaud –
une formule qui, en effet, aurait pu remplacer, c’était
« intrigue profonde ». Je me reconnaissais (un peu) là. Arnaud en
était effrayé, trouvait l’idée atroce. Je m’étais endormi en regardant une très
belle œuvre de Bruce Nauman que j’avais trouvée sur Facebook, Seven Figures, de 1985. C’est une série d’emboîtements sexuels de
figures masculines, mais avec un léger bouger (les corps faits deux fois) et
l’ « aura » procurée par le dessin comme au néon de couleur sur
fond noir (en fait, c’est une œuvre clignotante, j’ai vérifié, il y a des
vidéos sur Youtube). Cette œuvre avait sublimé pour moi la dernière partie de
la journée. Nous étions au Möbel, le célèbre Möbel, le bar sous la barre
d’immeuble à Kreuzberg, peuplé presque exclusivement de garçons et débordant sur
la nuit chaude. On nous avait fait rentrés au bout d’un moment (le voisinage).
Les garçons étaient très garçons, travaillaient la journée sur des ordinateurs,
architectes, design, graphistes… j’étais au milieu de la matière humaine, la
matière-chair, la matière masculine comme une poule devant une brosse à dent –
quelle est l’expression ? Bref, je ne savais pas quoi faire de cette « matière homosexuelle ». Tout le monde
avait l’air heureux, les têtes de tous les siècles, archaïques, Cranach, Falk
n’avait pas compris, je pensais qu’il y avait des Cranach à Berlin, je voulais
voir des Cranach, il ne voyait pas ce que je voulais dire, mais si, Lucas
Cranach, c’est très connu ! La Fontaine de jouvence, de Lucas Cranach, à la Gemäldegalerie.
Labels: voyage berlin
1 Comments:
Oh mon grand chat magnanime, alors c'est vrai ? Tu me le donnes en entier, j'ai ta permission ? Grand seigneur que tu es, grand fou, je t'embrasse les pieds, en Allemagne et partout. Cot cot cot fait le poulet...
http://www.youtube.com/watch?v=IAX7iADVooE&feature=related
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