Tuesday, July 17, 2012



Je suis revenu à la maison. Rincé ! Avignon, super, mais rincé ! Hier je me suis enquillé quatre spectacles dont deux chefs d’œuvre. Qu’est-ce qu’il s’est passé ? J’ai fini, comme tous les ans, au bar du In à mettre la main dans la culotte des pédés (heureusement zéro résultat sans ambiguïté cette année). Les deux chefs d’œuvre sont Brume de Dieu, le film d’Alexandre Barry présenté en avant-première (film aboutissement de l’œuvre du même titre de Claude Régy) et Disabled Theater, de Jérôme Bel et du Theater Hora. J’ai compris pourquoi on se tournait vers Dieu. C’est juste une respiration. On n’en peut plus, parfois, de toute cette espèce humaine si concentrée dans l’intelligence, dans la bêtise, si enthousiaste dans la société, la société du spectacle – et la misère personnelle qui se mélange à rien, le COMBAT ! Nicolas Maury a très bien fait entendre quelques phrases d’Arthur Rimbaud, d’Une saison en enfer, dans la pièce de Guillaume Vincent, La Nuit tombe..., très bien fait entendre, c’est-à-dire l’air de rien. Il y avait une phrase de Franz Kafka, aussi, mais beaucoup plus lourdement assénée (par un autre comédien) : « Dans le combat entre toi et le monde, seconde le monde. » Je lis les suppléments avant premières des journaux. Dans l’un, Romeo Castellucci dit qu’il voit « la prière comme un manque, le signe de l’absence de foi. Avoir la foi, c’est croire à l’incroyable. On ne prie que parce que l’on ne croit pas. » Il dit aussi : « La condition warholienne du spectateur, ce n’est rien d’autre que l’enfer moderne, la communication ininterrompue. » Mais le plus beau, c’est Walter Benjamin qui le dit, rapporté (paraphrasé) par Dominique Reymond. « La phrase exprime, en substance, le sentiment suivant, dit-elle : « Je n’ai rien, mais en revanche j’ai du temps. Et dans cet espace du temps que j’habite, je trouve des meubles, des gens, des mouettes. » » Ici, je suis chez moi, dans le Lub’, sous la falaise au bout de la route des chevaux qui se jettent – et des loups anciens. Il y a bien des gens, mais ils sont inoffensifs : ils font des stages. Ça ne me déprime pas. Inoffensifs. Ils ne savent pas que je suis un metteur en scène célèbre (à Avignon, tout le monde l’est). J’ai une bouteille (50 cl) de Château La Canorgue 2010 et j’ai mangé aussi la nourriture habituelle, le plateau de crudités, l’agneau noir comme le loup (cuit dans l’olive) et le fromage sublime qu’avant on appelait un banon, mais maintenant on n’a plus le droit car c’est devenu une marque déposée – il n’a pas de nom, en fait. Le fromage. Le fromage, Laure disait, le plus sublime que j’ai jamais mangé. J’ai le souvenir de mes amis ici. Laure, Romain, Cristian, Eva, François. Maintenant je suis seul avec Dieu, c’est-à-dire l’absence, c’est-à-dire les livres, c’est-à-dire l’imagination. Gaston Bachelard.



L’imagination, c’est du mouvement, nous dit Gaston Bachelard. Ce n’est pas l’image, c’est l’imaginaire, c’est-à-dire l’image jamais fixée, en mouvement. Encore faut-il en ressentir physiquement la théorie. Par les moyens du laboratoire du cinéma (film complètement expérimental), Alexandre Barry amplifie le mouvement vivant produit dans l’œuvre théâtrale du même nom par Tarjei Vesaas, Claude Régy et Laurent Cazanave. Il l’amplifie et l’aboutit : c’est fixé, recueilli, le mouvement même de l’imaginaire : l’être humain, mystère insensé. Paradoxe d’un film chef d’œuvre. Infini, jamais complètement présent, flou pour toujours, fixé pour toujours, presque invisible comme la profondeur sans stop ni départ. « Doué d’une vue plus subtile, tu verras toutes choses mouvantes » (Friedrich Nietzsche). Brume de Dieu.



« En toutes circonstances, la vie prend trop pour avoir assez. Il faut que l’imagination prenne trop pour que la pensée ait assez. Il faut que la volonté imagine trop pour réaliser assez. »

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