« Faire monter la forme »
Je suis retourné à la galerie Isabelle Gounod et Thomas Lévy-Lasne était là. C’était le dernier jour de son exposition sublime. Il était dans la rue, il neigeait, je ne l’ai pas reconnu : dans mon esprit, il était brun, mais je ne voyais qu’un visage poupon et une barbe rousse. Il m’a montré les tableaux qui étaient dans la réserve. On a un peu parlé. Ça m’a passionné. C’est curieux comme ça m’intéresse à ce point, la peinture, mais ça m’intéresse. Je posais des questions naïves, comment c’est fait, combien de temps ça prend. L’aquarelle, l’huile. Il m’a parlé de qq techniques. Par exemple, les glacis qui permettent de faire vibrer la couleur. Par exemple, son autoportrait (qu’on avait sous les yeux), le fond, il passe d’abord un gros brun, il attend que ça sèche et ensuite il passe un jus gris qui donne une impression « atmosphérique » (je trouvais), de s’éloigner du fond. « Bon, c’est pas Léonard de Vinci, il me dit, mais... » Dans la réserve, il y a des paysages, des emblavures vides (un peu Richter), des portraits de bébés, de vieux, de femmes, des têtes de poules ou de mouettes. Il me montre des choses qui ont qq années, qui sont belles, mais d’une technique moins aboutie. Il me parle de progrès. Ça, ça m’intéresse. Bien sûr, la virtuosité, ça a à voir avec le progrès. Il me dit qu’il a hâte d’être encore meilleur. De pouvoir faire des choses encore plus folles. Il me montre comment il y a plus de matière dans les clairs et moins dans les sombres. C’est une technique que les peintres pratiquent depuis très longtemps, mais qui n’a été découverte qu’au début du XXème siècle. En fait, l’ombre, c’est un trou de lumière. C’est seulement vers 1900 qu’on l’a compris. Une chose si ancienne. On parle un peu de Justine qui doit être l’amie dont Marie Vachette m’a parlé et qui était sa copine à lui quand il était aux beaux-arts, il y a donc beaucoup de toiles et de dessins d’elle (la pauvre, elle a beaucoup servi). Il m’en montre une sur son iPhone, c’est Justine (donc) qui se maquille dans un miroir. Il dit qu’il aime bien ce moment de la vie des femmes où elles se regardent dans le miroir d’une manière très dure et que l’on sent, là, tout le poids que la société leur fait porter. Il me parle d’un tableau de Lucian Freud très beau où on voit une femme les jambes écartées, le sexe et le visage sur le même tableau, qu’il est très difficile de faire un portrait de femme avec le visage et le sexe qui ne soit pas misogyne, que celui-ci l’est encore un peu, mais moins, déjà. Il me dit qu’il a été étonné de la masse d’imbécilités qu’on lui a dite sur ses dessins pornographiques (qui sont très, très beaux). Il me dit qu’il aime bien capter (par exemple, dans la série des « fêtes ») le moment où un homme — ivre, en général — est attiré par une fille ou plusieurs, il appelle ça : « le syndrome couilles pleines » (si je me souviens bien). En sortant — il neige toujours — il me dit d’aller voir à l’étage de la galerie ... (qui partage la cour avec la galerie qui l’expose) un superbe tableau de Jean Olivier Hucleux, à la mine de plomb, qui représente le sculpteur Erik Dietman. Le tableau est sidérant. On a l’impression qu’il est en relief, que le gros ventre d’Erik Dietman sort de la surface. C’est le chien et loup, la galeriste — ou son assistante — me propose de mettre la lumière, mais, non, c’est plus beau, plus incroyablement beau, avec cette lumière de crépuscule de neige. Je demande le prix et, quand je redescends, je dis à Thomas que « je suis content de voir que tu vas bientôt très bien gagner ta vie ». Le tableau (de 2 ans de boulot) vaut 425 000 euros. Il me dit encore d’aller à la galerie Anne de Villepoix, rue de Montmorency, où un peintre allemand, Sven Kroner, peint des brise-glaces, c’est très beau. C’est en effet très beau — avec beaucoup plus de matière puisqu’il y a plus de blanc. C’est jusqu’au 30 mars, j’y retournerai.
Ensuite — je fais une pause parce que ça n’a rien à voir — c’est d’ailleurs à l’autre bout du 3ème, à la galerie Valentin, la galerie Sultana... Tenues par des hommes, ces galeries, alors que les galeries des peintres figuratifs sont tenues par des femmes. Ensuite ? il s’agit de Nicolas Moulin, chez Valentin, jusqu’au 30 mars, une de ses meilleures œuvres, réellement très belle. Une ville entière, il a imaginé une ville entière, tout en béton, somptueuse, il l’a appelée : Subterannean. C’est une ville de science-fiction, une utopie, plus réelle que le réel. Je retombe amoureux de Nicolas devant cette beauté brutaliste, mais si délicate, ce travail obsessionnel, créer une ville, une ville parfaite. Il a travaillé en 3D, mais il a comme « patiné » le rendu pour lui donner l’apparence du dessin. Sans doute aussi fort que « Vider Paris » et que tant d’autres œuvres car l’ensemble est maintenant immense. Mon Nico.
Chez Sultana, Arnaud Maguet qui — s’il y en a un qui sait recevoir, c’est bien lui ! — m’offre son catalogue extrêmement intéressant et bourré de citations qui se retrouveront bientôt par ici. Comme, par ex, celle de Franz Kafka (tirée de sa correspondance) sur la justice : « L’aveu et le mensonge sont identique. Pour pouvoir avouer, on ment. » Une œuvre absolument complexe et sensuelle dont il n’y a, à chaque fois, que les éléments d’un grand œuvre.
Tous les amis sont là, entre ces 2 galeries. Je fais le va-et-vient en jetant aussi un œil à ce qui apparait sur le chemin, comme chez Alain Gutharc que j’ai plusieurs fois rencontré avec Laurent Goumarre et qui est aussi le galeriste de Véronique Ellena. Très sympathique. Il était content de me recevoir « chez lui ». Alexandre Perrigot me parle d’un artiste corse (comme lui), David Raffini, qui expose à la galerie Torri, la porte à côté. Je vois tout ça. La nuit est tombée maintenant depuis longtemp et je pense toujours aux tigres, et je parle des tigres...
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