Sunday, August 25, 2013

A mour à mort



Le film de Guiraudie, en un sens, me démolit. J’avais raison — malgré tous les « Vas voir L’Inconnu du lac ! » — d’en retarder la vision. Mais, hier où j’étais parti pour la « trilogie Bill Douglas », au Mk2 Beaubourg, quelqu’un, dans la file, me proposait un billet qu’il avait en trop — et j’aime les changements de programme… hum… Je me suis retrouvé dans le club des homos, c’est-à-dire dans ma solitude.

Une lectrice m’envoie — après avoir lu L e Transformisme qu’elle nomme « torsion dissonante » (« Parfois il y a des torsions dissonantes, peu importe si la générosité est là. ») la phrase de Goethe : « Tout ce que vous êtes capables de faire ou d’imaginer, entreprenez-le. Il y a de la beauté, de la magie et de la puissance dans la témérité. » Mais, Goethe, le salopard, Musset en parlait à Avignon : Musset, c’est-à-dire moi ! Ce qui est bien, quand on s’occupe d’un texte, c’est qu’on finit par être d’accord. « Aimes-tu Napoléon ? — Pas spécialement. — Pourtant tu dis : « les 2 plus grands génies du siècle après Napoléon »... »

Le film de Guiraudie est incroyablement réussi — à part la fin, Godard a raison, qui est scénaristique. Mais, à part la fin, il n’abandonne jamais qqch qui est de l’ordre d’un mystère effrayant, l’érotisme au sens de Bataille, « approbation de la vie jusque dans la mort », c’est-à-dire ce que je fuis — et qui a de nouveau résonné, et qui résonne encore ce matin, depuis la vision de ce film qui m’a saisi. J’ai lu aussi un entretien qui confirme (s’il était besoin) que Guiraudie connaît très bien son sujet : le film est réussi parce qu’il connaît très bien son sujet. Il dit (de mémoire) que cette utopie qu’il désire, qu’il a filmé jusque là, de la « communauté humaine » (opposée à la « société »), qui est une utopie (« un lieu qui n’existe pas »), il l’a délaissé, là, pour se confronter au réel de l’amour-passion, de la jouissance. Oui, il trouve que c’est politique aussi parce qu’il y a maintenant une injonction (capitaliste) à la jouissance. « L’approbation de la vie jusque dans la mort… » 

Le film paraît du coup incroyablement bien joué, impossiblement bien joué (surtout Franck, l’amoureux qui m’a rappelé Pierre d’ailleurs (mais ça n’intéresse personne…)) Jeune & jolie, à côté, c’est rien. On ressort en ayant vu une belle fille (c’est déjà ça), mais rien n’est dit sur son sujet, absolument rien à côté de qui est dit dans L’Inconnu du lac. C’est fabuleux, la distance qu’il peut y avoir entre les 2 films...

Mais je fuis ce que dit L’Inconnu du lac, je ne veux pas m’y intéresser (à Bataille). « Moins de jouissance, plus de réjouissance », a été mon slogan (depuis tant…) Aussi avec : « Il est interdit de souffrir ». C’est pour ça que nous ne nous comprenons pas avec les homos, nous sommes de chaque côté du bord. Mais, du bord, qui y tombe ? Qui s’en sort et comment ? Georges Bataille est évoqué tout le long du livre de Thadée Klossovski de Rola (j’adore écrire ce nom, il devrait être plus long encore…), mais tenu à distance. Il (Thadée…) s’occupe de l’édition des œuvres complète de Georges Bataille, mais, lui, sa vie, sa « vie rêvée » — et réussi — est de l’ordre du plaisir, pas de la jouissance sous-jacente dont il cherche à se débarrasser (drogue, insatisfaction, sentiment d’inutilité...) et, comme il dit (en quatrième de couverture) : « ça finit bien ».

« Après la libération sexuelle des années 1970, on se sent aujourd’hui dans une perpétuelle assignation à baiser, dans une obligation à jouir. »

« Cette assignation à jouir va avec la société de consommation, qui inclut une consommation du sexe. »

« Si la libération sexuelle débouche sur une obligation de jouissance, elle peut vite se transformer en aliénation. Je me demande où nous conduit cette recherche du seul plaisir.  J’ai construit le personnage de Michel en pensant à ces drôles d’évolutions. Michel est un jouisseur, consommateur de sexe aux allures de surfer californien. Il est puissant, sûr de lui, sentimentalement froid, et quand il a joui de l’autre, il s’en débarrasse. »

« Franck se situe dans cette tradition « romantique », il va jusqu’au bout de l’expérience. Il vit son envie sur le moment, sans penser à rien d’autre qu’à prendre son pied avec l’autre. Peu importe où ça le mène. S’il prend le temps d’y réfléchir, ce n’est certainement pas dans les moments forts de sexe. »

« J’avais pour l’instant beaucoup fait l’amour camarade, l’amour joyeux, l’amour joueur. Et, là, j’avais vraiment envie de me coltiner : qu’est-ce que c’est que d’avoir qq’un dans la peau, quoi, et d’avoir qq’un dans la peau jusqu'au bout. »

Mais Guiraudie caresse l’eau, le ciel, les arbres. Ça m’avait frappé quand j’allais, moi aussi, dans ces lieux de drague, de la beauté du cosmos, qui étaient, la nuit, au crépuscule, les + beaux du monde. Et qui d’ailleurs, dit-il (il y a longtemps que je n’y vais plus et où je vois cette beauté partout), n’existe plus, tendent à ne plus exister, ces lieux pasoliniens de bord de plage, etc. (Je me souviens de la Côte Sauvage, au-dessus de Royan, d’un parc de ville sublime à La Rochelle, aussi en bord de mer, de Montpellier, des Tuileries la nuit, des canaux, etc.) (Les immenses baraquements en construction pour la fête de la bière, à Munich, où tous les homos de la ville, à cette période, se rassemblaient et qui évoquaient plus, alors, un univers à la Fellini (Cinecittà ).) 

« une envie (…) de fondre un peu les personnages, comme ça, de les faire évoluer dans le vent (…) — c’est des terriens —, sur de la terre, dans la flotte, quoi… »

J’écrivais (car je travaille toujours le même sujet) : « Cette liberté de ne pas consommer… mais d’étudier, de travailler… d’aimer (d’amitié) »



« Pourquoi te déguises-tu 
En vent, en pierre, en oiseau ? 
Pourquoi me souris-tu du ciel 
Comme un éclair inattendu ? 

Cesse de me tourmenter ! Ne me touche pas ! 

Laisse-moi à la gravité de mes soucis... 
Un feu ivre passe en vacillant 
Sur les marais gris desséchés 

La Muse dans sa robe trouée 

Chante d'une voix traînante, monotone. 
Sa force miraculeuse 
Est dans son angoisse cruelle et jeune. »

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