A mour à mort
Le film de Guiraudie, en un
sens, me démolit. J’avais raison — malgré tous les « Vas voir L’Inconnu
du lac ! » — d’en retarder la
vision. Mais, hier où j’étais parti pour la « trilogie Bill Douglas », au Mk2
Beaubourg, quelqu’un, dans la file, me proposait un billet qu’il avait en trop —
et j’aime les changements de programme… hum… Je me suis retrouvé dans le club
des homos, c’est-à-dire dans ma solitude.
Une lectrice m’envoie — après
avoir lu L e Transformisme qu’elle
nomme « torsion dissonante » (« Parfois il y a des torsions
dissonantes, peu importe si la générosité est là. ») la phrase de
Goethe : « Tout ce que vous êtes capables de faire ou d’imaginer, entreprenez-le.
Il y a de la beauté, de la magie et de la puissance dans la témérité. »
Mais, Goethe, le salopard, Musset en parlait à Avignon : Musset, c’est-à-dire
moi ! Ce qui est bien, quand on s’occupe d’un texte, c’est qu’on finit par être
d’accord. « Aimes-tu Napoléon ? — Pas spécialement. — Pourtant tu
dis : « les 2 plus grands génies du siècle après Napoléon »... »
Le film de Guiraudie est
incroyablement réussi — à part la fin, Godard a raison, qui est scénaristique.
Mais, à part la fin, il n’abandonne jamais qqch qui est de l’ordre d’un mystère
effrayant, l’érotisme au sens de Bataille, « approbation de la vie jusque
dans la mort », c’est-à-dire ce que je fuis — et qui a de nouveau résonné,
et qui résonne encore ce matin, depuis la vision de ce film qui m’a saisi. J’ai
lu aussi un entretien qui confirme (s’il était besoin) que Guiraudie connaît
très bien son sujet : le film est réussi parce qu’il connaît très bien son
sujet. Il dit (de mémoire) que cette utopie qu’il désire, qu’il a filmé jusque
là, de la « communauté humaine » (opposée à la
« société »), qui est une utopie (« un lieu qui n’existe
pas »), il l’a délaissé, là, pour se confronter au réel de l’amour-passion, de la jouissance. Oui, il trouve
que c’est politique aussi parce qu’il y a maintenant une injonction
(capitaliste) à la jouissance. « L’approbation de la vie jusque dans la
mort… »
Le film paraît
du coup incroyablement bien joué, impossiblement bien joué (surtout Franck,
l’amoureux qui m’a rappelé Pierre d’ailleurs (mais ça n’intéresse personne…)) Jeune
& jolie, à côté,
c’est rien. On ressort en ayant vu une belle fille (c’est déjà ça), mais rien
n’est dit sur son sujet, absolument rien à côté de qui est dit dans L’Inconnu
du lac. C’est fabuleux,
la distance qu’il peut y avoir entre les 2 films...
Mais je fuis ce
que dit L’Inconnu du lac,
je ne veux pas m’y intéresser (à Bataille). « Moins de jouissance, plus de
réjouissance », a été mon slogan (depuis tant…) Aussi avec :
« Il est interdit de souffrir ». C’est pour ça que nous ne nous
comprenons pas avec les homos, nous sommes de chaque côté du bord. Mais, du bord,
qui y tombe ? Qui s’en sort et comment ? Georges Bataille est évoqué
tout le long du livre de Thadée Klossovski de Rola (j’adore écrire ce nom, il
devrait être plus long encore…), mais tenu à distance. Il (Thadée…) s’occupe de
l’édition des œuvres complète de Georges Bataille, mais, lui, sa vie, sa
« vie rêvée » — et réussi — est de l’ordre du plaisir, pas de la
jouissance sous-jacente dont il cherche à se débarrasser (drogue,
insatisfaction, sentiment d’inutilité...) et, comme il dit (en quatrième de
couverture) : « ça finit bien ».
« Après la
libération sexuelle des années 1970, on se sent aujourd’hui dans une
perpétuelle assignation à baiser, dans une obligation à jouir. »
« Cette
assignation à jouir va avec la société de consommation, qui inclut une
consommation du sexe. »
« Si la libération
sexuelle débouche sur une obligation de jouissance, elle peut vite se
transformer en aliénation. Je me demande où nous conduit cette recherche du
seul plaisir. J’ai construit le personnage de Michel en pensant à ces
drôles d’évolutions. Michel est un jouisseur, consommateur de sexe aux allures
de surfer californien. Il est puissant, sûr de lui, sentimentalement froid, et
quand il a joui de l’autre, il s’en débarrasse. »
« Franck se situe dans cette tradition
« romantique », il va jusqu’au bout de l’expérience. Il vit son envie
sur le moment, sans penser à rien d’autre qu’à prendre son pied avec l’autre.
Peu importe où ça le mène. S’il prend le temps d’y réfléchir, ce n’est
certainement pas dans les moments forts de sexe. »
« J’avais pour l’instant beaucoup fait l’amour camarade, l’amour joyeux, l’amour joueur. Et, là, j’avais vraiment envie de me coltiner : qu’est-ce que c’est que d’avoir qq’un dans la peau, quoi, et d’avoir qq’un dans la peau jusqu'au bout. »
Mais Guiraudie caresse l’eau,
le ciel, les arbres. Ça m’avait frappé quand j’allais, moi aussi, dans ces lieux
de drague, de la beauté du cosmos, qui étaient, la nuit, au crépuscule, les +
beaux du monde. Et qui d’ailleurs, dit-il (il y a longtemps que je n’y vais
plus et où je vois cette beauté partout), n’existe plus, tendent à ne plus
exister, ces lieux pasoliniens de bord de plage, etc. (Je me souviens de la
Côte Sauvage, au-dessus de Royan, d’un parc de ville sublime à La Rochelle,
aussi en bord de mer, de Montpellier, des Tuileries la nuit, des canaux, etc.) (Les immenses baraquements en construction pour la fête de la bière, à Munich, où tous les homos de la ville, à cette période, se rassemblaient et qui évoquaient plus, alors, un univers à la Fellini (Cinecittà ).)
« une envie (…) de fondre un peu les personnages, comme ça, de les faire évoluer dans le vent (…) — c’est des terriens —, sur de la terre, dans la flotte, quoi… »
« une envie (…) de fondre un peu les personnages, comme ça, de les faire évoluer dans le vent (…) — c’est des terriens —, sur de la terre, dans la flotte, quoi… »
J’écrivais (car je travaille
toujours le même sujet) : « Cette liberté de ne pas consommer… mais
d’étudier, de travailler… d’aimer (d’amitié) »
« Pourquoi
te déguises-tu
En vent, en pierre, en oiseau ?
Pourquoi me souris-tu du ciel
Comme un éclair inattendu ?
Cesse de me tourmenter ! Ne me touche pas !
Laisse-moi à la gravité de mes soucis...
Un feu ivre passe en vacillant
Sur les marais gris desséchés
La Muse dans sa robe trouée
Chante d'une voix traînante, monotone.
Sa force miraculeuse
Est dans son angoisse cruelle et jeune. »
En vent, en pierre, en oiseau ?
Pourquoi me souris-tu du ciel
Comme un éclair inattendu ?
Cesse de me tourmenter ! Ne me touche pas !
Laisse-moi à la gravité de mes soucis...
Un feu ivre passe en vacillant
Sur les marais gris desséchés
La Muse dans sa robe trouée
Chante d'une voix traînante, monotone.
Sa force miraculeuse
Est dans son angoisse cruelle et jeune. »
Labels: paris
0 Comments:
Post a Comment
<< Home