Friday, August 09, 2013

Le Duc. — Voici venir la comtesse : maintenant le ciel marche sur la terre.



Je lis des poèmes de Nerval, je ne sais pas, la connexion Internet marche et ne marche pas, mais ce qui est rare est cher — et j’en trouve — de très beaux, de très justes — sur mon phone... Il y en a un pour Simon Espalieu, Epitaphe. Il y en a un pour Jean-René et Serena, je ne sais pas, il m’a fait penser à Montfrin… Vers dorés. Il y en a un pour le spectacle des Bouffes du Nord, presque trop parfait (mais toute l’œuvre de Nerval est parfaite), Fantaisie« Il est un air pour qui je donnerais »



Épitaphe
Il a vécu tantôt gai comme un sansonnet,

Tour à tour amoureux insoucieux et tendre,

Tantôt sombre et rêveur comme un triste Clitandre.

Un jour il entendit qu'à sa porte on sonnait.



C'était la Mort ! Alors il la pria d'attendre

Qu'il eût posé le point à son dernier sonnet ;

Et puis sans s'émouvoir, il s'en alla s'étendre

Au fond du coffre froid où son corps frissonnait.



Il était paresseux, à ce que dit l'histoire,

Il laissait trop sécher l'encre dans l'écritoire.

Il voulait tout savoir mais il n'a rien connu.



Et quand vint le moment où, las de cette vie,

Un soir d'hiver, enfin l'âme lui fut ravie,

Il s'en alla disant : « Pourquoi suis-je venu ? »






Vers dorés


Eh quoi ! tout est sensible. 
Pythagore
Homme ! libre penseur — te crois-tu seul pensant

Dans ce monde où la vie éclate en toute chose :

Des forces que tu tiens ta liberté dispose,

Mais de tous tes conseils l'univers est absent.



Respecte dans la bête un esprit agissant :
Chaque fleur est une âme à la Nature éclose ;

Un mystère d'amour dans le métal repose :

« Tout est sensible ! » — Et tout sur ton être est puissant !



Crains dans le mur aveugle un regard qui t'épie

A la matière même un verbe est attaché...

Ne la fais pas servir à quelque usage impie !



Souvent dans l'être obscur habite un Dieu caché ;

Et comme un oeil naissant couvert par ses paupières,

Un pur esprit s'accroît sous l'écorce des pierres !






Fantaisie
Il est un air pour qui je donnerais

Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,

Un air très-vieux, languissant et funèbre,

Qui pour moi seul a des charmes secrets.



Or, chaque fois que je viens à l'entendre,

De deux cents ans mon âme rajeunit :

C'est sous Louis treize; et je crois voir s'étendre

Un coteau vert, que le couchant jaunit,



Puis un château de brique à coins de pierre,

Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,

Ceint de grands parcs, avec une rivière

Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ;



Puis une dame, à sa haute fenêtre,

Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,

Que dans une autre existence peut-être,

J'ai déjà vue... et dont je me souviens !






El Desdichado
Je suis le Ténébreux, — le Veuf, — l'Inconsolé,

Le Prince d'Aquitaine à la Tour abolie :

Ma seule Étoile est morte, — et mon luth constellé

Porte le Soleil noir de la Mélancolie.

Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m'as consolé,

Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,

La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,

Et la treille où le Pampre à la Rose s'allie.


Suis-je Amour ou Phoebus ?... Lusignan ou Biron ?

Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ;

J'ai rêvé dans la Grotte où nage la Sirène...

Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron :

Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée

Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.

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