Le Duc. — Voici venir la comtesse : maintenant le ciel marche sur la terre.
Je lis des poèmes de
Nerval, je ne sais pas, la connexion Internet marche et ne marche pas, mais ce
qui est rare est cher — et j’en trouve — de très beaux, de très justes — sur
mon phone... Il y en a un pour Simon Espalieu, Epitaphe. Il y en a un pour Jean-René et Serena, je ne sais
pas, il m’a fait penser à Montfrin… Vers dorés. Il y en a un pour le spectacle des Bouffes du Nord,
presque trop parfait (mais toute l’œuvre de Nerval est parfaite), Fantaisie. « Il est un air pour qui je donnerais »…
Épitaphe
Il a vécu tantôt gai comme
un sansonnet,
Tour à tour amoureux
insoucieux et tendre,
Tantôt sombre et rêveur
comme un triste Clitandre.
Un jour il entendit qu'à sa
porte on sonnait.
C'était la Mort ! Alors il
la pria d'attendre
Qu'il eût posé le point à
son dernier sonnet ;
Et puis sans s'émouvoir, il
s'en alla s'étendre
Au fond du coffre froid où
son corps frissonnait.
Il était paresseux, à ce que dit l'histoire,
Il laissait trop sécher
l'encre dans l'écritoire.
Il voulait tout savoir mais
il n'a rien connu.
Et quand vint le moment où, las de cette vie,
Un soir d'hiver, enfin
l'âme lui fut ravie,
Il s'en alla disant :
« Pourquoi suis-je venu ? »
Vers dorés
Eh quoi ! tout est sensible.
Pythagore
Homme ! libre penseur — te
crois-tu seul pensant
Dans ce monde où la vie
éclate en toute chose :
Des forces que tu tiens ta
liberté dispose,
Mais de tous tes conseils
l'univers est absent.
Respecte dans la bête un
esprit agissant :
Chaque fleur est une âme à
la Nature éclose ;
Un mystère d'amour dans le
métal repose :
« Tout est sensible ! »
— Et tout sur ton être est puissant !
Crains dans le mur aveugle
un regard qui t'épie
A la matière même un verbe
est attaché...
Ne la fais pas servir à
quelque usage impie !
Souvent dans l'être obscur
habite un Dieu caché ;
Et comme un oeil naissant
couvert par ses paupières,
Un pur esprit s'accroît
sous l'écorce des pierres !
Fantaisie
Il est un air pour qui je
donnerais
Tout Rossini, tout Mozart
et tout Weber,
Un air très-vieux,
languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des
charmes secrets.
Or, chaque fois que je
viens à l'entendre,
De deux cents ans mon âme
rajeunit :
C'est sous Louis treize; et
je crois voir s'étendre
Un coteau vert, que le
couchant jaunit,
Puis un château de brique à
coins de pierre,
Aux vitraux teints de
rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec
une rivière
Baignant ses pieds, qui
coule entre des fleurs ;
Puis une dame, à sa haute
fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en
ses habits anciens,
Que dans une autre
existence peut-être,
J'ai déjà vue... et dont je
me souviens !
El Desdichado
Je suis le Ténébreux, — le
Veuf, — l'Inconsolé,
Le Prince d'Aquitaine à la
Tour abolie :
Ma seule Étoile est morte,
— et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la
Mélancolie.
Dans la nuit du Tombeau,
Toi qui m'as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et
la mer d'Italie,
La fleur qui plaisait tant
à mon coeur désolé,
Et la treille où le Pampre
à la Rose s'allie.
Suis-je Amour ou Phoebus
?... Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor
du baiser de la Reine ;
J'ai rêvé dans la Grotte où
nage la Sirène...
Et j'ai deux fois vainqueur
traversé l'Achéron :
Modulant tour à tour sur la
lyre d'Orphée
Les soupirs de la Sainte et
les cris de la Fée.
Labels: bouffes
0 Comments:
Post a Comment
<< Home