« Mais qu’est-ce qu’une religion sinon une vaste rumeur persistante… »
« L’histoire que je voudrais esquisser — la question que je voudrais construire… » Voilà comment commencer un spectacle, un de plus, celui des Bouffes du Nord — à chaque fois penser que ce spectacle est le dernier — ou le premier ; d’ailleurs ne pourrais-je pas changer Le Dispariteur en Distributeur de richesses ? Nous sommes une petite équipe pour bâtir un spectacle début septembre en quelques heures. Un moment que j’ai aimé : quand j’ai présenté Boris à Philippe à la terrasse de La Rotonde, le café du carrefour des Bouffes du Nord (emplacement stratégique pour voir passer le quartier des mille et une merveilles, surtout en été caniculaire). Boris, Philippe et moi, nous nous sommes mis à échanger comme si nous avions un an devant nous. C’est dans cet esprit (de plans sur la comète) que je voudrais travailler et, paradoxalement, il nous faudra aussi faire confiance à nos intuitions immédiatement validées (car nous n’aurons pas le temps d’en essayer d’autres). Pourrons-nous mélanger ces 2 vitesses invraisemblables surtout dans leur assemblage ? L’avenir nous le dira. Pasolini : « La luce è sempre uguale ad altra luce. / Poi variò : da luce diventò incerta alba, / […] e la speranza ebbe nuova luce. » « La lumière est toujours égale à une autre lumière. / Puis elle se modifia : de lumière elle devint aube incertaine, / […] et l’espoir eut une nouvelle lumière. » Le projet, je reprends les mots de Philippe, c’est « une forme d’installation où les présences sont à projeter pour les spectateurs » ; « que ce soit L’Espace vide de Peter Brook qui tende la main au spectateur » ; « une vie qu’on n’a plus qu’à projeter soi-même comme spectateur ». Un effet de miroir donc, de caverne de Platon, de récit du monde à l’essentiel, de croyance. L’art est religieux, fait remarquer avec justesse Wim Delvoye (encore un Belge !) parce que le public y voit « des choses qui ne sont pas là, comme dans toutes les religions » ; « On a une nouvelle religion : les gens croient dans l’art » ; « C’est une chose totalement imaginées par les gens ». C’est ce que nous voulons appuyer, démontrer (Wim Delvoye, immense artiste, dit qu’il « aime être actif dans l’art », mais qu’il est « agnostique ».) Il sera donc question de spectres, de fantômes, d’immatérialité, de transparence et de toutes ces rêveries qui rendent la vie poétique. Puissions-nous rendre cela réel (par un effet alchimique), cela s’appellerait l’amour. Que le vide soit, comme en astrophysique, non pas vide, mais plein, non pas néant, mais jardin fleuri. Voilà pourquoi je suis dans mes petits souliers avec ce projet dans ce théâtre : parce que Peter Brook y arrive très bien ! Que rajouter ? J’ai vu (avec Boris) la dernière d’Une flûte enchantée, le spectacle qu’il a imaginé à partir de La Flûte enchantée de Mozart. J’ai vu chez Peter Brook ce que je voulais faire aux Bouffes : que les gens travaillent ensemble (jouent ensemble, vivent ensemble, respirent ensemble, etc.) C’est la seule et unique qualité d’un spectacle, il n’y en a pas d’autres. « Réjouissons-nous de l’amour / Nous ne vivons que par l’amour ». L’équipe de septembre est constituée. Elle est incomplète, mais si — comme je le crois — elle montre sa force, ceux qui viendront ensuite ne seront que des lucioles, des spectres, des invités (peut-être très nombreux), des « âmes »… presque le public lui-même. Peter Brook réussit à rendre la foule heureuse. A la fin du spectacle, elle se lève et envahit le plateau (il n’y a pas de séparation), reste là comme dans une « lumière ». « Dans ces murs on ne connaît pas la vengeance » ; « Nul traître ne peut se cacher et on pardonne à l’ennemi » ; « Celui qui n’est pas réjoui par cet enseignement / ne mériterait pas le nom d’homme » (cet enseignement étant celui de la franc-maçonnerie dans la pièce de Mozart, mais peu importe). Ce que je retiens aussi de Peter Brook, c’est la facilité (rapidité) avec laquelle l’espace change (et pourtant une unité). Et aussi : la simplicité des moyens et la splendeur de ce qui est dit. Je voudrais d’ailleurs utiliser les machines à surtitrer (qui projettent sur les murs de chaque côté du cadre de scène). Qq’un m’a dit qu’il faut les réserver auprès de Daniel (Philippe... ?) Cela permettra de projeter les traductions de ce que chantent Jeanne et Bertrand et aussi d’autres choses. Comme cette phrase : « Je tiens simplement à ce que tu regardes autour de toi et prennes conscience de la tragédie. Et quelle est-elle, la tragédie ? La tragédie, c’est qu’il n’existe plus d’êtres humains ; on ne voit plus que de singuliers engins qui se lancent les uns contre les autres. » Enfin. Etc. Fin août, je vais sans doute passer en Belgique pour préparer avec Benoît, Boris, Simon (si tu y es) et peut-être auditionner car il semblerait que Boris ait tout un tas de copines belles comme le jour (ou la nuit). C’est de toute façon déjà une production franco-belge… A Paris, on pourrait se voir avec Jeanne et Bertrand (si possible), choisir les matériaux chantés et — très important — les robes pour Jeanne (celle que tu avais en juin est parfaite, mais je voudrais en voir d’autres aussi…) Essayez, Bertrand et Jeanne (et Louis) de vous souvenir de se que vous avez fait en juin (pour le refaire). Avec ce mail, nous sommes tous en contact (prière de faire suivre à Jeanne et à Bertrand que, je ne sais pas pourquoi — il y a quelques personnes comme ça —, je n’arrive pas à joindre par mail (mais par Facebook, oui). Faites-moi suivre les mails que vous échangez entre vous. Bertrand, redis (à Benoît) ce que tu m’as dit qu’il pouvait préparer (des boucles de quelles musiques ?) Boris, est-ce que tu pourrais m’aider à trouver une armure ? Je rêve depuis bien longtemps de belles armures, mais c’est très dur à trouver… (pour Simon ou pour Bertrand). Etc., etc. J’espère que vos vacances vous laisseront le temps de rêver ce travail… (et à moi aussi...) Là, je suis très excité. Je vous embrasse. Que « l’imagination — ce travail producteur d’images pour la pensée — nous éclaire par la façon dont l’Autrefois y rencontre notre Maintenant pour libérer des constellations riches d’Avenir » (Livre lu dans le train : Survivance des lucioles, de Georges Didi-Huberman.)
Boris Dambly, scénographe (Belgique) ; Bertrand Dazin, contre-ténor (France) ; Simon Espalieu, acteur (Belgique) ; Philippe Gladieux, éclairagiste (France) ; Louis Laurain, trompétiste (France) ; Jeanne Monteilhet, soprano (France) ; Benoît Pelé, ingénieur du son (Belgique) et moi-même.
Nous n’avons que 6 jours, mais ces 6 jours sont pourtant mités par des problèmes de planning, résumés ainsi :
Du 2 au 5, Peter Brook prend la salle le soir (libérer à 17h45) (le 6 et 7 nous l’avons jusqu’à 22h).
Louis n’arrive que le 3 à 14h.
Bertrand ne peut que les matins (jusqu’à 13h) sauf le 6 toute la journée et le 7 jusqu’à 17h.
Philippe peut quand il peut (sans doute uniquement les matins).
A cela s’ajoute la première rentrée scolaire d’un enfant (je ne sais plus quel jour, demande faite par Jeanne et par Philippe).
Les avant-premières devraient donc avoir lieu le 6 à 20h30 et le 7 à 15h30.
Les matins commencent à 9h.
Allez, une petite dernière spécialement pour Philippe :
« Comme il y a une littérature mineure — ainsi que l’ont bien montré Gilles Deleuze et Felix Guattari à propos de Kafka —, il y aurait une lumière mineure possédant les mêmes caractéristiques philosophiques : « un fort coefficient de déterritorialisation » ; « tout y est politique » ; « tout prend une valeur collective », en sorte que tout y parle du peuple et des « conditions révolutionnaires » immanentes à sa marginalisation même. »
YNG
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