Sunday, September 01, 2013

S candale de la vie

   
« le ressentiment était un mode de production du monde — et qui plus est le mode le plus puissant et le plus nocif que l'on ait trouvé jusque-là. Plus l'auteur critique se penchait avec acuité sur ce fait, plus celui-ci se profilait de manière globale et monstrueuse : en tout ce qui portait jusque-là le nom de culture, de religion, de morale, le mode ressentimental de l'interprétation du monde a dominé. Tout ce qui, pendant une ère entière, a su se présenter comme un ordre moral du monde, en porte l'empreinte. Tout ce qui, à cette époque, a prétendu apporter une contribution à l'amélioration du monde en avait bu le poison. II en résulte cette conclusion catastrophique qui assaille le penseur comme une illumination du millénaire : tout le langage formé par la métaphysique gravite autour d'un noyau misologique. Les enseignements classiques de la sagesse, ainsi que les théories modernes qui s'y rattachent, sont essentiellement des systèmes de calomnie contre l'Étant dans son ensemble. Ils permettent à ceux qui n'ont pas eu leur compte de diffamer le monde, le pouvoir et l'être humain, et se donnent pour objectif l'humiliation des positions heureuses et puissantes qui chantent leurs propres louanges. Lorsqu'elles posent leur dernier mot dans la balance, les civilisations hautement développées, entre l'Asie et l'Europe parlent toujours le langage de ceux qui veulent satisfaire leur désir de se venger contre la vie elle-même. Ce qui a porté jusqu'ici le nom de morale, c'est l'universalisme de la vengeance. Quoi que le discours métaphysique puisse charrier en matière de sagesse valide, de science, d'expérience du monde: par sa première impulsion, il est un discours dédaigneux sur la réalité, au nom d'un surmonde et d'un antimonde qui ont été spécialement approuvés pour humilier son contraire. Il est ainsi en même temps l'auto-approbation du besoin de vengeance, avec lequel les faibles et les idiots se vantent de leur faiblesse et de leur idiotie. Dans le discours métaphysique et religieux, le méprisable devient une puissance sournoisement dénaturée qui chante ses propres louanges. » (Peter Sloterdijk in La compétition des bonnes nouvelles.) »

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