R erun : « Ma virilité est absolue, ne pas se fier aux apparences »
Adoration de moi-même
Je vais faire ce soir une
chose un petit peu choquante, oui, je sais, il y avait une adoration de Laurent
Chétouane prévue au programme, mais j’ai envie de m’adorer moi-même... Après
tout, les gens ne me connaissent pas, Aurélie — il faut toujours revenir à
soi-même.
Vous savez, Aurélie, moi, je
n’écris rien. J’écris mon blog, c’est déjà bien suffisant — et encore si on
pouvait me l’écrire à ma place, ça me libérerait… Ça me libérerait du temps, en
tout cas. Faut déléguer, la délégation est la clé. Même mes mises en scène, je
ne fais rien, j’ai très, très peu d’idées, ce sont les acteurs qui amènent
tout, je suis au bord, si vous voulez, de la contemplation, au bord de la carte
postale… Je me contente d’aider, d’aider les acteurs et d’aider les spectateurs
à faire le spectacle, moi, je ne fais rien, ça parce que je ne crois pas à
l’expression, je ne crois qu’en l’allusion, Borges en a très bien parlé dans un
texte que je disais à Avignon, vous savez dans Le Parc intérieur... Alors, bien sûr, la notion d’auteur est mise à mal
quand on pense comme ça, tant pis pour les ego. Moi qui suis adepte du name
dropping, eh bien, je pense que d’auteurs, en fait, il n’y en a pas, au fond,
il n’y a que des nègres. C’est ce que je voudrais faire tout au long de l’année
avec vous, Aurélie, réhabiliter la notion de nègre… Alors, voilà ce que m’a
écrit mon nègre, il voudrait le faire publier chez Gallimard, mais, ça, je n’y
crois pas du tout… C’est quelqu’un d’bien, il travaille aussi avec Lady Gaga,
figurez-vous… Et donc il m’envoie cette page (c’est toujours moi qui parle)…
Bonjour ! Vous savez que
c'est impossible de parler de soi ? On vous l'a déjà dit ? C'est très fatigant
et ça rend fou à la longue. Moi ça va à peu près car j'ai un nègre. Il
s'appelle Olivier Steiner. En réalité il n'est pas le seul, ne lui en déplaise,
j'ai d'autres nègres. J'ai des nègres comme certains ont des femmes dans les
ports. Puis j'aime beaucoup l'Afrique, c'est mon côté Koltès. J'ai aussi un
dessinateur attitré, il s'appelle François Olislaeger. Voilà, je suis bien
entouré. Voilà, voilà... Où en étais-je ? Ah, oui, je suis bien élevé donc je
me présente. Mon nom est Genod. Prononcez jeunot ou j'ai no, peu me chaut. Peu
me chaut ça vient du vieux verbe « chaloir » qui signifie avoir de l'intérêt.
C'est joli, non ? Mon prénom est Yves-Noël, on dit aussi Yvno. Je m'aime bien.
Je suis la personne la moins dissimulatrice que je connaisse. J'ai la bonne
quarantaine, pas envie de préciser. C'est pas de la coquetterie, c'est que ça
compte pas. (Alors là, Aurélie, je
voudrais me permettre comme une note de bas de page, si vous voulez, je ne suis
pas tout jeune, certes, j'ai trente neuf ans bientôt, mais ce n'est pas ce
qu'on appelle « la bonne quarantaine ». Peut-être, Aurélie, pouvez-vous
témoigner auprès des auditrices que je suis encore joli garçon... Alors, je
reprends...) Name dropping : j'ai travaillé avec Claude Régy, j'ai connu
Duras, je travaille aujourd'hui avec Jeanne Balibar, Marlène Saldana, Kate
Moran et plein de bogosses doués. Statut social : je suis célibataire sans
enfants. Ma sexualité ou feu ma sexualité est de type homo sublimé, hétéro
épisodique, amoureux des corps en général. (Nouvelle note de bas de page, je n'me sens pas du tout homo, c'est
plus compliqué.) L'aspect de mes cheveux est variable en raison d'un goût
prononcé pour le port des perruques. Longs la plupart du temps, le blond
peroxydé à la Iggy Pop étant ce qui me va le mieux, dit-on. Ma culture est
vaste et inattendue. Mon corps est mince, très mince, genre grand adolescent
attardé, mais je l'habite bien. J'ai un petit cul qui plaît aux filles, mon
sexe est de taille moyenne (Ça, je
n'sais pas comment il le sait...), mes cuisses fines, j'aime bien les mouler
dans des jeans Dior. Je suis sensible des tétons. De toute façon tout mon corps
est une zone érogène. Autrement, je suis plutôt imberbe. Ma virilité est absolue,
ne pas se fier aux apparences. Ma mémoire est mauvaise, je dois tout noter sur
de petits carnets Moleskine. Même au cinéma, dans le noir de la salle, je note,
des idées, des choses vues et entendues. Souvent il arrive que je ne peux plus
me relire. Mais c'est là, c'est écrit. Handicap : absence d'odorat, j'ai perdu
ce sens vers l'âge de trente ans dans des conditions qui sont et resteront
mystérieuses. Je peux donc coucher avec des gens qui puent. Mes yeux sont
verts, souvent maquillés, trait de khôl. Ma santé est fragile, j'ai contracté
la maladie de Lyme à Berlin, cela me fatigue beaucoup. Je porte ma croix avec
cette foutue infection bactérienne. Mon visage est émacié. Mon caractère est
impossible, mais comme on dit des enfants, impossibles. J'ai deux grandes
qualités : la curiosité, un art certain pour l'exhibitionnisme. J'ai deux
défauts qui vont avec : la curiosité, un art certain pour l'exhibitionnisme.
J'ai une manie : je ne peux pas m'empêcher de tripoter, de toucher le corps des
autres. Ma voix est élégante, bien posée, joueuse, un brin ironique. Dans la
vie – que c'est con de commencer une phrase par « dans la vie » ! – je suis
metteur en scène, performeur, blogueur, comédien, être vivant, muse, égérie de
qui voudra. Signe particulier : je peux être tour à tour dandy provocant et
petit enfant perdu, difficile à saisir, j'échappe toujours, et d'abord à
moi-même. Autre signe particulier : depuis quelque temps j'aime beaucoup imiter
Fanny Ardant. Malheur : je ne suis pas libre d'un amour. Cet amour s'appelle
Pierre, Pierre Courcelle. Voilà, j'ai dit l'essentiel. Et vous ? Ça va bien ?
Vous vous en sortez avec vos vies ? C'est infernal ce qu'on nous fait subir,
vous ne trouvez pas ? Je vais vous dire une chose : la poésie n'est pas une
solution, mais elle est là. C'est déjà ça.
Labels: radio autoportrait
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