Friday, December 13, 2013

Yves-Noël,

J'ai lu ce texte (il n'y en a qu'une partie ici) et j'ai pensé à toi...

« Ce dont vous avez besoin, vous autres jeunes écrivains, c'est tout simplement de la vie même, de la beauté et de la flétrissure du monde ; du lopin de mon père et de l'endurance inouïe de ma mère, du combat intérieur auquel doivent vous mener votre propre faim et votre propre flétrissure, de la soif de reconnaissance qui poussait Verlaine et Baudelaire à descendre aux enfers. Ce qu'il vous faut, ce n'est pas des prix d'encouragement, des bourses ou des assurances sociales ; c'est le déracinement de votre âme et de votre chair, la désolation, la déréliction quotidiennes, le gel quotidien, l’impasse quotidienne, le pain pas plus que quotidien, qui ont engendré autrefois des créatures aussi magnifiques et misérables que Wolfe, Dylan Thomas et Whitman, qui ont fait surgir des villes et des paysages de la poussière, les témoignages d’une existence tourmentée, inamendable, qui se consume d’heure en heure dans le seul but de créer de nouveaux et puissants poèmes. Ce qu'il vous faut, c'est tous les lieux où quelqu'un se lève puis meurt, où la pluie lave la pierre et où le soleil pèse comme un couvercle.
Or où êtes-vous, vous qui adorez qu’on vous dorlote en tant que poètes de la nation, vous qui déambulez sur le pavé en songeant déjà à l’édition de vos œuvres complètes ? Où êtes-vous ? Que faites-vous du temps qui, à vous comme à nous tous, n'est donné qu'une seule fois, et qui fond dans votre bouche avant même que vous l'ayez goûté ?
[…]
Votre prose ne connaît ni printemps ni été, ni automne ni hiver ; elle n'est ni noire ni rouge ; elle colle au palais tel un fade brouet d'avoine. Or c'est parce que vous ne vivez pas comme des brasseurs, des saurisseurs, des vendeurs ambulants et des gitans, parce que vous craignez la férule du temps qui passe et votre propre désespoir, que vous n'avez plus rien à dire. 
[…]
C’est sûr, plus personne ne dépérit aux marges de la terre ! Plus personne ne déchoit dans la gloire des poètes. Mais personne ne connaît plus non plus l’herbe et les ruisseaux ! »

(« Un mot aux jeunes écrivains », Sur les traces de la vérité, Thomas Bernhard)

A bientôt, j'espère...

Elsa






Oui, c’est très beau, Thomas Bernhardt ! Mais aussi tellement méchant et, à cause de cette méchanceté, un peu con (-plaisant). Merci de me faire connaître ce texte ! surtout là où je suis, au bord de la mer où il y a les saisons, les matières, la boue et l’air, la mer, la rivière, l’eau partout et les huîtres, les terrains (spongieux, granitiques)… et où les poètes ont les songes réels : les « couchers de soleil » (puisqu’on dit encore toujours ainsi) sont violents et les apparitions sont douces où les bêtes vous regardent, rares bêtes, comme nous, rares, où tout peut se déverser dans la nuit et dans la mort : savais-tu que la profondeur moyenne de tous les océans du globe était de 3800 m ? Mais nous pourrions en parler toujours et we will ! Boris voudrait que je vienne avec lui te voir à Genève, mais ça ne m’enchante pas des masses, Genève… On verra… Je veux la montagne ou la nature, c’est acquis… mais Genève… (ville de tous les transferts).
Des bises, attendant,

YN

Labels:

0 Comments:

Post a Comment

<< Home