Yves-Noël,
J'ai lu ce texte (il
n'y en a qu'une partie ici) et j'ai pensé à toi...
« Ce dont vous avez
besoin, vous autres jeunes écrivains, c'est tout simplement de la vie même, de
la beauté et de la flétrissure du monde ; du lopin de mon père et de
l'endurance inouïe de ma mère, du combat intérieur auquel doivent vous mener
votre propre faim et votre propre flétrissure, de la soif de reconnaissance qui
poussait Verlaine et Baudelaire à descendre aux enfers. Ce qu'il vous faut, ce
n'est pas des prix d'encouragement, des bourses ou des assurances sociales
; c'est le déracinement de votre âme et de votre chair, la désolation, la
déréliction quotidiennes, le gel quotidien, l’impasse quotidienne, le pain pas
plus que quotidien, qui ont engendré
autrefois des créatures aussi magnifiques et misérables que Wolfe, Dylan Thomas
et Whitman, qui ont fait surgir des villes et des paysages de la poussière, les
témoignages d’une existence tourmentée, inamendable, qui se consume d’heure en
heure dans le seul but de créer de nouveaux et puissants poèmes. Ce qu'il vous
faut, c'est tous les lieux où quelqu'un se lève puis meurt, où la pluie lave la
pierre et où le soleil pèse comme un couvercle.
Or où êtes-vous, vous qui
adorez qu’on vous dorlote en tant que poètes de la nation, vous qui déambulez
sur le pavé en songeant déjà à l’édition de vos œuvres complètes ? Où
êtes-vous ? Que faites-vous du temps qui, à vous comme à nous tous, n'est
donné qu'une seule fois, et qui fond dans votre bouche avant même que vous
l'ayez goûté ?
[…]
Votre prose ne connaît ni
printemps ni été, ni automne ni hiver ; elle n'est ni noire ni rouge ;
elle colle au palais tel un fade brouet d'avoine. Or c'est parce que vous ne
vivez pas comme des brasseurs, des saurisseurs, des vendeurs ambulants et des
gitans, parce que vous craignez la férule du temps qui passe et votre propre
désespoir, que vous n'avez plus rien à dire.
[…]
C’est sûr, plus personne ne
dépérit aux marges de la terre ! Plus personne ne déchoit dans la gloire
des poètes. Mais personne ne connaît plus non plus l’herbe et les
ruisseaux ! »
(« Un mot aux jeunes
écrivains », Sur les traces de la vérité, Thomas Bernhard)
A bientôt, j'espère...
Elsa
Oui, c’est très beau, Thomas
Bernhardt ! Mais aussi tellement méchant et, à cause de cette méchanceté,
un peu con (-plaisant). Merci de me faire connaître ce texte ! surtout là
où je suis, au bord de la mer où il y a les saisons, les matières, la boue et
l’air, la mer, la rivière, l’eau partout et les huîtres, les terrains
(spongieux, granitiques)… et où les poètes ont les songes réels : les « couchers de soleil »
(puisqu’on dit encore toujours ainsi) sont violents et les apparitions sont douces où les bêtes vous
regardent, rares bêtes, comme nous, rares, où tout peut se déverser dans la
nuit et dans la mort :
savais-tu que la profondeur moyenne
de tous les océans du globe était de 3800 m ? Mais nous pourrions en
parler toujours et we will ! Boris voudrait que je vienne avec lui te voir
à Genève, mais ça ne m’enchante pas des masses, Genève… On verra… Je veux la
montagne ou la nature, c’est acquis… mais Genève… (ville de tous les
transferts).
Des bises, attendant,
YN
Labels: correspondance
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