L 'Animal que donc je suis
Moi aussi je suis très
heureuse de cette rencontre furtive… mais votre « lecture » a laissé
des traces , c 'était superbe et cela m'inspire…
Bon, juste ce petit mail
pour vous donner un titre de livre qui peut vous plaire… ou non…
d'ailleurs : L'Animal que donc je suis, de Jacques Derrida.
Merci du lien sur la conférence
« La féminité ». Oui, c'est très vrai tout cela… personnellement, je
me considère mi-homme, mi-femme, mi-animal !
Et aussi vous dire que j'ai
eu du plaisir a vous imaginer en Corse en train de lire ce texte ! (Oui, le
blog...) J'adore la Corse et elle me manque tant, je vais y travailler (lire-écrire)
une partie de l'été chaque année.
Encore merci !
A une prochaine !
Isabelle Luccioni
« Chaque fois que « on » dit
« L'Animal », chaque fois que le philosophe, ou n'importe qui, dit au singulier
et sans plus « L'Animal », en prétendant désigner ainsi tout vivant qui ne
serait pas l'homme [...], eh bien, chaque fois, le sujet de cette phrase, ce «
on », ce « je » dit une bêtise. Il avoue sans avouer, il déclare, comme un mal
se déclare à travers un symptôme, il donne à diagnostiquer un « je dis une
bêtise ». Et ce « je dis une bêtise » devrait confirmer non seulement
l'animalité qu'il dénie mais sa participation engagée, continuée, organisée à
une véritable guerre des espèces. »
« « Can they suffer ? », la réponse ne fait aucun doute. Elle n'a
d'ailleurs jamais laissé aucun doute ; c'est pourquoi l'expérience que nous en
avons n'est pas même indubitable : elle précède l'indubitable, elle est plus
vieille que lui. Point de doute, non plus, pour la possibilité, alors, en nous,
d'un élan de compassion, même s'il est ensuite méconnu, refoulé ou dénié, tenu
en respect. Devant l'indéniable de
cette réponse, (oui, ils souffrent, comme nous qui souffrons pour eux et avec
eux), devant cette réponse qui précède toute autre question, la problématique
change de sol et socle. [...] Les 2 siècles auxquels je me réfère un peu
grossièrement pour situer notre présent à cet égard, ce sont les deux siècles
d'une lutte inégale, d'une guerre en cours et dont l'inégalité pourrait un jour
s'inverser, entre, d'une part, ceux qui violent non seulement la vie animale
mais jusqu'à ce sentiment de compassion et, d'autre part, ceux qui en appellent
au témoignage irrécusable de cette pitié. »
« Pour un système idéaliste,
les animaux jouent virtuellement le même rôle que les Juifs pour un système
fasciste, dit-il [Théodor W. Adorno]. Les animaux seraient les Juifs des
idéalistes qui ne seraient ainsi que des fascistes virtuels. Et ce fascisme
commence quand on insulte un animal, voire l'animal dans l'homme. L'idéalisme
authentique consiste à insulter
l'animal dans l'homme ou à traiter un homme d'animal. »
« De quelque façon qu'on
l'interprète, quelque conséquence pratique, technique, scientifique, juridique,
éthique, ou politique qu'on en tire, personne aujourd'hui ne peut nier cet
événement, à savoir les proportions sans précédent de cet assujettissement de l'animal. [...] Personne
ne peut plus nier sérieusement et longtemps que les hommes font tout ce qu'ils
peuvent pour dissimuler ou pour se dissimuler cette cruauté, pour organiser à
l'échelle mondiale l'oubli ou la méconnaissance de cette violence que certains
pourraient comparer aux pires génocides (il y a aussi des génocides d'animaux :
le nombre des espèces en voie de disparition du fait de l'homme est à couper le
souffle). De la figure du génocide il ne faudrait ni abuser ni s'acquitter trop
vite. Car elle se complique ici : l'anéantissement des espèces, certes, serait
à l'œuvre, mais il passerait par l'organisation et l'exploitation d'une survie
artificielle, infernale, virtuellement interminable, dans des conditions que
des hommes du passé auraient jugées monstrueuses, hors de toutes les normes
supposées de la vie propre aux animaux ainsi exterminés dans leur survivance ou
dans leur surpeuplement même. Comme si, par exemple, au lieu de jeter un peuple
dans des fours crématoires et dans des chambres à gaz, des médecins ou des
généticiens (par exemple nazis) avaient décidé d'organiser par insémination
artificielle la surproduction et la surgénération de Juifs, de Tziganes et
d'homosexuels qui, toujours plus nombreux et plus nourris, aurait été destinés,
en nombre toujours croissant, au même enfer, celui de l'expérimentation
génétique imposée, de l'extermination par le gaz et par le feu. Dans les mêmes
abattoirs. [...] Si elles sont « pathétiques », ces images, c'est aussi
qu'elles ouvrent pathétiquement l'immense question du pathos et du
pathologique, justement, de la souffrance, de la pitié et de la compassion. Car
ce qui arrive, depuis deux siècles, c'est une nouvelle épreuve de cette
compassion. »
« Il ne s'agit pas
seulement de demander si on a le
droit de refuser tel ou tel pouvoir à l'animal (parole, raison, expérience de
la mort, deuil, culture, institution, technique, vêtement, mensonge, feinte de
la feinte, effacement de la trace, don, rire, pleur, respect, etc. – la liste
est nécessairement indéfinie, et la plus puissante tradition philosophique dans
laquelle nous vivons a refusé tout cela à l'« animal »), il s'agit aussi de se demander si ce qui s'appelle l'homme a le droit d'attribuer en
toute rigueur à l'homme, de s'attribuer, donc, ce qu'il refuse à l'animal, et
s'il en a jamais le concept pur, rigoureux, indivisible, en tant que tel. »
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