L a Vie privée (d'Olivier Steiner)
Ce post pourrait s'appeler
« Charité bien ordonnée commence par soi-même », il pourrait avoir
pour sous-titre « L'arroseur arrosé »... Connaissez-vous Le
Dispariteur ? Il s'agit de mon blog
préféré, celui d'Yves-Noël Genod. J'avais deux autres blogs préférés : Le
Bleu du ciel, de Nicolas Clément et
La Vie littérale, de Pierre
Courcelle, mais ces derniers ont fermé, hélas... Bref, il ne me reste plus que
Le Dispariteur et si je raconte tout ça en ce lundi de Pâques, c'est parce
qu'Yves-Noël Genod a l'habitude de publier sur son blog presque tous les mails
qu'il reçoit, il est au-delà de la pudeur, Yvno, je veux dire qu'il en est
par-delà, Dieu soit loué, amen & tutti quanti.... où veux-je en venir ? Un
ami vient de me dire qu'il était désolé pour le « silence autour de mon
livre »... Silence relatif... certes il y a eu « Les
Inrockuptibles », et il y aura « Le Magazine Littéraire » à ce
qu'on m'a dit, mais à part ça... rien. Je me plains ? Non, je constate. Je n'ai
pas la quantité. Mais j'ai la qualité. Par ex, ce mail que vient de m'envoyer
Yves-Noël... Oui, il y a quelque chose d'indécent à publier des compliments
faits pour soi-même et en privé, mais si je ne le fais pas, qui le fera ? (fuck
la culpabilité judéo-chrétienne, et puis Yvno parle aussi et surtout de
Marguerite, alors...)
« J’ai lu ton livre,
Olivier, et je le trouve très fort, très rapide. Très bien « fait ». Comme une
torpille. Ça atteint son but, ça reste. Cette maison du bord de mer, un paysage
de fait-divers, je la vois, la maison — comme Marguerite Duras disait que quand
elle avait vu la maison du « petit Grégory », elle avait crié, elle avait « vu
» le drame. Après, je ne peux pas mentir : je ne l’ai pas vécu, ce livre. Mon
plaisir a été de t’imaginer, toi, en train de l’écrire. Un compagnonnage. De te
suivre à ça : toi, en train de l’écrire, de te démener avec la matière (de vie,
c’est-à-dire aussi la matière de ta vie) que tu voulais dire, cette histoire du
bord et des limites, de l’échappement à la vie, du devoir d’échapper à la vie
par un biais ou par un autre, de mal y être, dans la vie, et pourtant de la
lucidité — qu’on veut tuer. Je t’ai suivi avec un très, très grand plaisir à
l’écriture de ce vouloir tout dire et j’ai laissé — qu’y puis-je ? — ce que je
n’arrive pas à imaginer, comme cette affaire de vouloir être dominé ou de
dominer — ou même, pour deux hommes, de vouloir baiser, en ce moment, j’ai du
mal à en voir l’intérêt, mais ça ne concerne malheureusement que moi, ma
faiblesse, ma paresse à l’imagination. Donc ça me fait comme quand Marguerite
Duras avait voulu que je lise un texte qu’elle voulait réécrire (soi-disant
rajouter un rôle pour moi, etc.), « Lis-le, tu me diras ce que tu en penses… »,
et auquel je n’avais rien compris (ça parlait des procès de Moscou). Alors, j’avais préparé un petit laïus, j’étais embêté, mais elle avait compris tout de
suite. J’avais commencé : « Ça m’a beaucoup intéressé… — C’est pas assez ! Moi,
ça me passionne, tu comprends ? », avait-elle hurlé — et puis elle s’était
calmée quand, plus tard, ds ce restaurant de Montparnasse, comme elle voulait
changer le titre qu’elle ne trouvait pas bon (Un homme est venu me voir, très mauvais, en effet), j’avais proposé : « Pour
une fois que nous ne sommes pas morts ». « Génial ! », avait-elle hurlé de
nouveau — sans que je n’aie jamais compris si elle avait reconnu une phrase
qu’elle avait écrite dans la pièce (et qu’elle louait son propre génie) ou si,
on ne sait jamais, elle pensait que c’était moi qui venais de l’inventer. Ou
bien, le génie que j’avais, ç’avait peut-être été de lui suggérer le titre
auquel elle n’avait pas encore pensé. Bref, j’avais une part de son génie.
L’ambiguïté d’origine demeure. L’ambiguïté qui faisait tout le sel de notre
relation. « Lorsque nous étions à même enseigne… », lui avais-je une fois
écrit. Nous sommes aussi à même enseigne, Olivier, pour autant que je puisse
m’approcher de cet endroit auquel nul peut-être nul n’approche : une maison de
fait-divers… (c’est comme ça que je comprends le livre). Evidemment, comme le
livre est fort, maintenant qu’il est lu, il reste intact et il restera — intact
— longtemps encore ouvert à mon chevet à établir son œuvre, son établi, sa caisse
à outil — pour dire quoi ? — ce que je voudrais qu’il dise lorsque, poison, je
veux encore en boire.
Bisous, Yvno »
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