T ous les mots neutres
Dominique m’avait offert un
torchon en lin très beau qu’elle venait d’acheter au Jardin des Tuileries à un
artisan niçois et je lui disais que, non, je ne m’en servirais jamais pour
m’essuyer les mains, mais en écharpe, mais en jupe… Je le mettais immédiatement
en jupe et je le portais toute la soirée… Nous nous étions retrouvés à l’expo Martial Raysse, très belle et puis après, fabuleux spectacle, ballet
extraordinaire : au Georges. En plein ciel. Lumière trop belle.
Durassienne. Soirée. Il y avait une serveuse merveilleuse, avec une pêche
extraordinaire, elle nous disait à la fin que c’était son deuxième jour,
c’était l’explication. Dominique disait : « Elle veut contenter le
client, elle pense que son métier,
c’est : contenter le client ». Dominique racontait qu’elle avait entendu un
dialogue extraordinaire ds le train qui la ramenait de Trouville, une
famille très belle, elle avait hésité à laisser son numéro. L’enfant voulait
un animal. Le débat — « On en a déjà parlé », disait la mère —
tournait entre les avantages d’un chat ou d’un chien (et aussi quoi en faire
pendant les vacances : le laisser chez mamie). L’enfant énumérait toutes
les qualités qui le faisaient pencher pour un chien et sa mère le contredisait,
si bien qu’à la fin, l’enfant avait dit : « Oui, mais, un chat, ce
n’est pas majestueux comme un
chien. » Le mot « majestueux », arrivant là, avait enchanté
Dominique. Dominique disait : « Il y a des jours, j’ai envie de
photographier tout le monde ! », en me faisant remarquer, à qq
mètres de nous, un couple il est vrai très beau, un jeune couple d’amoureux
désœuvrés ds la lumière infinie (ds le soleil exactement de la croyance en l’infini). Je lui disais un peu plus tard que cette
phrase me faisait en effet voir à peu près tout le monde ds le style de ses
photos, le noir et blanc de la photo à l’ancienne, argentique. On était passé
devant l’expo Henri Cartier-Bresson et je lui avais demandé : « Est-ce que
tu te dis, parfois, que tu fais partie de ce monde ? — Non ! — Ç’avait été
très clair. — Je ne fais
partie d’aucun « monde ». — C’est bien, tu me réponds », lui avais-je à mon tour répondu. Elle m’avait montré
la plus belle photo d'Henri Cartier-Bresson, « Et de loin ! » C’était celle
qui fermait l’exposition et qu’on pouvait voir sans entrer, reproduite en très
grand format : un enfant extraordinaire qui comme protège du photographe sa sœur
et son frère en les cachant avec sa veste. C’est vrai, un geste inoubliable. La
serveuse était au poil ! On regardait sortir les serveurs et les serveuses
des jolies dents gris-argenté du Georges et, comme un DJ faisait de la musique à
ce moment encore pas trop forte, c’est vrai, cela faisait un spectacle. « Un défilé de mode », disait Dominique. Mais Jacques Tati n’était
pas loin. Dominique voulait absolument me faire manger qqch en plus de mon
sempiternel Perrier (tout l’art du luxe est la finesse de la découpe de la rondelle
de citron et servir les glaçons à part), alors je demandais en soupirant s’il y
avait des sorbets Berthillon. « Des sorbets pertinents, absolument, nous en avons », me répondit la
serveuse pas décontenancée, « Tous nos sorbets sont absolument pertinents »,
mais ce n’est pas encore à ce moment que je m’aperçus qu’elle était folle. Non, c’est à l’échange suivant :
elle m’assurait que, parmi tous ces sorbets pertinents, il y avait tous les
parfums, que je dise ce qui me passait par la tête ils l’avaient, ici, au Georges, dans la lumière.
« Par exemple ? », je demandais, « N’importe quoi, nous
avons tous les parfums : que désirez-vous ? » Mais je ne cédais pas et l’envoyais enquêter sur
cette liste infinie des sorbets pertinents. Elle revenait, toujours affublée de
ces interminables gambettes-mini-jupe sur lesquelles je remarquais, à l’arrière
de la gauche, quelques poils blonds qui lui avaient échappé et qui brillaient
dans le soleil, et me disait : « Nous avons Fruits Rouges ».
Finalement. Alors Dominique me demandait : « Alors, qu’est-ce que tu
veux, en fruits rouges ? Groseilles… — Non, disait la serveuse, nous
n’avons que Fruits Rouges. C’est
un mélange... » (Avec le geste.) Elle était belle, cette serveuse juchée sur
des talons de 10-12 cm, vulgaire et contentante — avec une
« foi » : passer une soirée merveilleuse. Elle venait d’être
engagée au Georges, la lumière était merveilleuse, son métier était de
« contenter le client », elle était folle — donc durassienne ! — donc
sauvée ! Je remarquais que Dominique lui laissait 10€ de pourboire. Je
remarquais en moi-même que c’était nécessaire, que c’était insultant, un sucre
comme à un chien, mais qu’il fallait dresser ces gens, les rendre heureux, les
habituer à nous servir, nous qui étions, momentanément pour toute la vie — et les
générations fuyantes — mais c’était un détail — du côté de la richesse.
« Partageons les richesses, pas la », je me souvenais de ce slogan saisi à l’expo de Thomas Hirschhorn au Palais de Tokyo. Et Dominique m’avait aussi rappelé la
phrase de Claude Monet : « Ne pas peindre ce
qu’on voit, puisqu’on ne voit rien, mais peindre ce qu’on ne voit pas. » Nous avions encore marché ds la nuit, ds la chaleur comme en Espagne et Dominique m'avait montré l'entrée de l'immense hôtel particulier des sœurs Labèque ds une rue commerçante autour du Centre ; elle avait cherché le code parmi ses SMS...
Labels: paris
2 Comments:
La serveuse de YNG est-elle la victime enthousiaste d'une paranoïa « au service de », folle, ou bien la marionnette d'un plan « diabolique » brouillant les pistes de sa perception, son intimité et son identité ? Un soir, allant au théâtre, elle découvre son personnage sur scène : elle-même.
Lol
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