O livier Steiner s'amuse
My
Good, je suis drogué... 2 jours que je ne poste rien sur FB et ça me démange
comme un urticaire généralisé, on est bien peu de choses à l'ère des like...
Bref, c'est l'été, ce sont les vacances qui arrivent, il faut marquer le coup.
Alors comme France Culture (lol) je vous propose ma grille d'été (re lol). Je
vais relire la Recherche (j'ai déjà commencé) et je vais passer ces mois de juillet et août à fabriquer des petits post proustiens, comme autant de
pastiches ou souvenirs de lecture, avec l'envie de m'amuser. Voici le premier :
Adalbert
Ce
soir-là et pour la première fois, madame de Gallardon conduisait dans le monde
son jeune neveu, Adalbert, biquet parmi les biquets, 17 ans, tendre comme un
enfant et déjà fier et posé comme un ancien premier ministre. Adalbert portait
une veste APC et un tee-shirt Remarque, un vieux jean's Dior et des chaussures
compliquées (Marithé François Girbaud), chaussures d'autant plus précieuses que
la marque venait de déposer le bilan. On ne pouvait pas faire plus négligemment
mode. Ce qu'il y avait de remarquable chez Adalbert, hormis son corps mince aux
proportions parfaites, c'était la qualité de sa peau. Blanche, laiteuse, peau
de bébé que l'on devinait extrêmement douce ; visage imberbe qui faisait encore
mieux ressortir la petite moustache noire et étudiée qu'il portait au dessus
des lèvres. Charnues, les lèvres, forcément. Quand on est beau, on est beau.
Les yeux d'Adalbert étaient un festival chromatique : du vert, du bleu et des
gris, tout se confondait et ce regard, on avait envie de s'y plonger comme dans
un lac de montagne en plein mois d'août, c'était irrésistible. Dans les
jardins, comme tout le monde s'était pressé pour assister aux feux de Bengale,
lesquels seraient suivi d'une performance d'Yves-Noël Genod — en tout cas c'est
ce qui était annoncé, « sublime », on avait dit « sublime »
— madame de Gallardon et le fameux neveu se retrouvèrent au coude à coude avec
le baron de Charlus. Dans la pénombre madame de Gallardon n'avait pas reconnu
tout de suite le baron mais les effluves de patchouli et d'encens, parfum
personnel de Charlus, composé pour lui seul par Le Labo, avaient fait tilt du
côté des narines de la marquise : « Oh ! mais c'est notre cher Palamède,
vous êtes donc revenu de Palerme ? Mais si j'en crois Facebook hier encore vous
étiez en Sicile ?! » Charlus répondit de façon grave qu'un avion est si
vite pris, les jet sont easy de nos jours, de plus il n'est pas bien sérieux de
croire tout ce qu'on dit ou voit sur les réseaux sociaux, les géolocalisations
sont bien capricieuses, chère marquise... Madame de Gallardon accusa réception,
digéra cette réponse sous forme de leçon informatique et d'un coup regarda avec
plein de tendresse et de fierté mêlée le petit Adalbert : « Permettez-moi
de vous présenter mon jeune neveu, Adalbert de Gallardon. Tu sais, Adalbert,
c'est Palamède de Charlus, tu avais beaucoup aimé son film, Jaurès, nous
l'avions vu à Pantin, au festival Côté Court, t'en souviens-tu ? »
Adalbert sourit mais à peine, il sourit comme s'il n'était pas tout à fait là
ou ne voulait pas abîmer la beauté de ses traits par un rictus facile ou un peu
trop franc.Le mystère de certaines jeunesses, c'est justement qu'on n'arrive
pas à savoir si ce mystère est voulu, calculé, décidé et maîtrisé, ou s'il est
totalement indépendant de toute volonté ou conscience.Cette incertitude ajoute
du trouble au charme, elle énerve et elle séduit, en même temps. Adalbert
faisait l'ange parce qu'il était bête ? Ou bien étant « bête », une
bête de sexe, il faisait penser à un ange ? Adalbert corrigea sa tante :
« Non, nous avons vu Jaurès sur Arte, pas à Pantin. » La tante
conquise lança un « Quelle mémoire ! C'est merveilleux la mémoire, vous ne
trouvez pas cher baron ? » Charlus ne répondit pas, fit comme s'il n'avait
pas entendu et continuait d'observer les feux d'artifice et autres gerbes
lumineuses... Mais ce faisant, utilisant sa vision à 360 degrés, pas un seul
battement de cil du jeune neveu ne lui échappait. Il lança d'un coup et avec
beaucoup de retard un « Bonsoir monsieur » tonitruant, limite
agressif, dédaigneux, en fixant l'horizon. Le monsieur devait être Adalbert qui
n'en avait pas demandé autant. Peut-être que Charlus voulait ainsi recadrer le
jeune homme, souligner la désinvolture de cette jeunesse un peu trop
spectaculaire ; peut-être que c'était aussi une façon inversée, paradoxale, de
faire savoir à cette verdeur insolente, sans alerter madame de Gallardon,
qu'elle intéressait beaucoup le baron, beaucoup plus que de raison. Il faut
savoir prendre certains refus pour ce qu'ils sont, des oui beaucoup plus
massifs que les affirmations de politesse et de circonstance.
Adalbert
était brillant, plein de promesses, à tel point que Promesse aurait pu être son
deuxième prénom. Il venait d'avoir son Bac avec mention et un an d'avance, il
avait décidé de s'offrir une année sabbatique, pour réfléchir, il hésitait
entre l'Ircam et Sciences Po, entre un master de design sonore et une carrière
au Quai d'Orsay, comme son père. De la même façon, comme son père également, il
hésitait entre homo et hétérosexualité, ayant goûté aux deux, parfois en même
temps, à trois ou à quatre. Il était malin, Adalbert, et ingénieux, par exemple
il détestait la dénomination gay ou homo, à laquelle il préférait le terme plus
vague mais plus libre selon lui de « fraternité à tendance
incestueuse ». Avait-il inventé la formule ou l'avait-il lue quelque part ?
On ne sait. Madame de Gallardon s'était échappée en coup de vent car elle
venait d'apercevoir Jeanne Balibar et elle voulait absolument lui demander où
elle avait bien pu trouver ses longues bottes cuissardes en daim couleur anis,
qui lui donnaient une si belle allure de mante religieuse. De fait, Charlus et
Adalbert se retrouvaient seuls, au milieu de la petite foule. Le disparition de
la marquise avait aussitôt radoucit Palamède, qui pouvait désormais se pencher
sur le cas du jeune homme sans être jugé et jaugé par la tante protectrice.
D'ailleurs il ne faisait plus du tout attention au spectacle pyrotechnique,
mais semblait tout ouvert au jeune homme, passant sans transition au tutoiement
: « Alors comme ça tu fais de la musique, tu composes ? — Oui,
répondit, Adalbert, depuis quelques années, je fais ça, comment savez-vous
? — Oh le monde est petit mon garçon, et donc on peut écouter ? Tu
as un myspace ? — Un soundcloud, oui, mais c'est un peu particulier ce que je
fais, c'est de la musique concrète ». Palamède opina du chef de façon
entendue, comme si cette dernière précision était évidente et il se garda bien
de demander ce qu'était exactement la musique concrète. Il préféra parler de
musique baroque, de Purcell, de Pelléas et Mélisande, il se mit à raconter le
projet de film qu'il avait, d'après le livret de Maeterlinck, co-écrit avec Eva
Truffaut. Adalbert écoutait sagement, il profita d'un instant de calme entre
deux pétarades et deux séries d'applaudissements pour dire - dire ou placer — que son opéra préféré était Acis et Galatée. A ces deux noms sortis de la
bouche d'un si jeune homme, l'armure de Palamède se brisa en mille morceaux et
ses yeux se mirent à briller. Mais si le jeune biquet venait de gagner le
premier set, la partie était loin d'être terminée et Palamède n'était pas du
genre à s'avouer si vite vaincu. De plus, au fond, et c'est très important,
Palamède n'était pas attiré par les jeunes garçons. Sincèrement il n'était pas
attiré par eux, érotiquement parlant, au contraire de presque tous les homosexuels
de son âge. Palamède s'en faisait même une fierté et une ligne de conduite, un
honneur : la plèbe succombait à la jeunesse, bavait devant elle, parfois à en
crever de frustration, frôlant plus ou moins la pédophilie mentale. Lui, le
baron de Charlus, n'était attiré que par les hommes de sa tranche d'âge, la
bonne cinquantaine, voire un peu plus. Son type d'homme c'était l'Empereur
Hadrien, pas Antinoüs, ou pour le dire de façon pornographique, c'était plus
Jeff Stryker que Brent Corrigan. Mais la jeunesse l'intéressait, comme un
entomologiste s'intéresse aux papillons. Il s'agissait aussi pour Charlus de ne
pas louper son époque, le contemporain voire l'hyper-contemporain l'excitait.
Bien sûr son monde c'était la fin des années 70, la nouvelle vague, époque
Eustache, La Maman et la putain, les folles 80, le Palace, les héros et
l'héroïne, juste avant les terribles 90 et son cortège de morts du sida... Mais
Charlus n'était pas un nostalgique sentant la naphtaline, ce qui le nourrissait
c'était aujourd'hui, ce qui le faisait se lever le matin, c'était demain.
Parler avec Adalbert, échanger, s'intéresser à lui, était surtout une façon de
prendre le pouls de l'actualité. « Il faut être absolument moderne »,
comme avait dit l'autre, absolument, oui, et même résolument, sinon pourquoi
continuer la vie ? D'ailleurs, avec un sens de l'à-propos inimitable, la vie,
voici qu'elle se mettait à faire des clins d'oeil et des ponts entre les âges.
La performance dYves-Noël Genod venait de commencer. Fils spirituel d'Iggy Pop
et de Barbara, Yves-Noël venait d'apparaître telle Rachel, en robe fourreau
couleur ténèbres, recouverte de strass, enrubanné par un long scotch jaune sur
lequel était écrit : Crime scene do not cross. Yves-Noël marcha lentement comme
sur un plateau de Claude Régy puis il se mit à susurrer du Rimbaud dans un
mégaphone : « Des ciels gris de cristal. Un bizarre dessin de ponts,
ceux-ci droits, ceux-là bombés, d'autres descendant ou obliquant en angles sur
les premiers, et ces figures se renouvelant dans les autres circuits éclairés
du canal, mais tous tellement longs et légers que les rives, chargées de dômes,
s'abaissent et s'amoindrissent. Quelques-uns de ces ponts sont encore chargés
de masures. D'autres soutiennent des mâts, des signaux, de frêles parapets. Des
accords mineurs se croisent et filent, des cordes montent des berges. On
distingue une veste rouge, peut-être d'autres costumes et des instruments de
musique. Sont-ce des airs populaires, des bouts de concerts seigneuriaux, des
restants d'hymnes publics ? L'eau est grise et bleue, large comme un bras de
mer. — Un rayon blanc, tombant du haut du ciel, anéantit cette comédie. »
Sublime, on avait bien annoncé sublime.
Labels: correspondance
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