Wednesday, October 15, 2014

M algastar


On me dit que j’ai l’air reposé, que j’ai l’air d’aller bien, on me demande si je suis amoureux, qu’est-ce qu’il arrive ? on me flatte peut-être, mais, c’est vrai, je ne vais pas trop mal. Je crois que j’ai trouvé le truc. Oui, il ne s’agit que d’un truc. Vous êtes déçu ? Ce n’est que ça, cette quête du bonheur ? Un truc ? Mais il faut le trouver. Il faut l’ouvrir, cette porte comme le disait Franz Kafka : cette porte qui reste fermée toute votre vie, que vous n’ouvrez pas, mais qui n’était destinée qu’à vous. En fait, c’est plus simple que ça. Oui, c’est beaucoup plus facile que du temps de Franz Kafka. A notre époque. On vit une époque formidable. Le truc ne vient pas de moi. Vous souvenez-vous de cette conférence enregistrée de Jacques Lacan à l’université catholique de Louvain ? « La mort, disait-il d'une voix de tonnerre, est une croyance ! Si vous n’y croyiez pas, comment supporteriez-vous la vie que vous menez ? » Oui, le truc est là-dedans : croire en la mort. Et c’est beaucoup, beaucoup plus simple qu’on ne croit, ce n’est pas individuel, c’est beaucoup plus drôle, c’est toute la société, toute la civilisation humaine qui souffre d’un cancer — et qui ne s’en sortira pas. Et pas dans 500 ans, non, tout de suite — et il y a mieux encore : on ne peut rien y faire, le cancer est installé, on ne peut plus rien, juste profiter des derniers rayons du soleil. Eh, bien, que voulez-vous, ces derniers rayons du soleil, ce bonheur et le miracle de les savoir derniers, ça me donne la pêche au lieu de me déprimer. Comme il est trop tard, quoi qu’on fasse, qu'il n’y a plus rien à tenter, c’est terminé, que la voiture ne fonce pas dans le mur, comme on dit, mais qu'elle a déjà sauté de la falaise, alors tout devient archi drôle, archi émouvant — si l’on croit ça, comme je le crois —, tout devient mignon, touchant, vous avez de la sympathie — ce n’est pas de la condescendance — pour tout le monde, tous ces morts-vivants qui font semblant de s’occuper d’un problème ou d’un autre ou encore d'un autre puisque c’est trop tard, que c’est plus la peine. Même les hommes politiques, j'ai envie de les caresser, même les pires, même Vladimir Poutine. Lorsque j’ouvre un journal, je suis ému aux larmes, le goût du papier, c’est fini, jamais plus ; lorsque je prends un train — ces admirables TGV —, je me dis : tu t’en souviendras, regarde, profite, regarde par la vitre. Tout, toute cette fin de tout, déjà là, fini comme Capri, rend les choses et les états comme d’une bouleversante soirée d’été — et voilà pourquoi je vais fabuleusement bien ! « C’était pas la peine... », disait Marguerite Duras dans ma jeunesse, mais, à notre époque virile, c’est beaucoup plus simple à penser : c’est plus la peine.

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