R ester vivant, livre d'or, 4
Isabelle Barbéris
Cher Yvno,
Rester vivant continue de déposer, tel un alambic invisible, dans
ma pensée. Je salue son tour de force, qui est celui de ne pas avoir abdiquer
face aux assignations, celle du lieu, fade et plat ; celle du one man show et
de l'obligation à paraître (je pense à Dominique Rabaté, qui est en train
d'écrire un livre sur « disparaître », dans la littérature).
Et de les avoir retournées,
ces assignations, comme des crêpes pour donner cela : un lieu et un « one
man » disparus, pour laisser de la place.
J'aime la citation
involontaire de Johnny, qui va sûrement bientôt disparaître, et ça va nous
mettre un coup dur la mort de Johnny.
Les amis qui ont traversé
ce noir-là en ressortent très bien. Mes étudiants conviés hier, ainsi que mes
collègues, ont beaucoup aimé. Aime ton spectacle. Il est fort.
Rester vivant répond à l'installation posthumaine Castellucci, oui.
Ce serait une belle étude comparatiste à faire. Mais ton théâtre n'est pas
vitaliste comme celui de Castellucci, et il reste du point de vue des humains,
il est à portée de main. Tu me rappelais l'étymologie de théâtre : le lieu d'où
l'on regarde et non pas ce que l'on regarde. Donc le lieu, quand bien même on
serait des poussières d'étoile ou de matière, reste humain. C'est raté, cela,
dans Le Sacre version Castellucci.
Le spectateur, le « d'où l'on regarde » n'est pas pensé. Et puis chez
toi, il y a toujours quelque chose qui doute. On regarde les choses depuis
notre présent et notre corps, incertains. Ça me touche infiniment plus.
Ma pièce de théâtre
préférée est Loretta Strong, de
Copi qui est propulsée dans l'univers après explosion de la terre et traversée
par des animaux, des objets, des mots et des énergies, et à la fin n'est plus
qu'un « pli » et une peau.
Je te remercie pour ta
confiance et ta patience à mon égard (oui oui), et je t'embrasse très très
fort, ô toi ! Et puis on se pose des séances d'archive en janvier, je t'écris
très vite à ce propos afin d'avancer le bouquin.
Pour ce qui est de la
santé, je t'avais envoyé l'adresse d'une clinique ayurvédique en Inde. Je te
conseille aussi vivement les cours de Shiatsu avec Katia Feltrin. Essaie !
Bisous Yvno,
Isabelle
Labels: correspondance rester vivant
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