S hortbus
J’avais compris une chose à
la merveilleuse fête du départ de José, à Vanves, où j’étais arrivé assez tard
par le taxi de Dominique Issermann (où justement avait passé, après qu'elle en soit sortie,
la chanson Hallelujah, de l’homme
avait qui elle avait vécu si intensément, ici chantée par Jeff Buckley). Tout
le monde était déjà ivre et heureux, l’ambiance était à son comble dans le
théâtre débordant comme le vaisseau d’une manifestation « Je suis
Charlie », par exemple. Et j’avais beaucoup embrassé de corps en sueur qui
ne me repoussaient pas. Tout le monde trouvait que j’allais bien et le fait
est, que depuis que j’appliquais la méthode « Sophie », la méthode
d’autopersuasion que m’avait suggérée une stagiaire inespérée, Sophie : au
lieu de dire honnêtement la vérité, qu’on est une crevure, qu’on a d’affreuses
douleurs, d’affreux problèmes, etc., dire qu’on va très bien, eh bien, depuis
quatre jours, donc, je pétais la forme : le fait est que ça marchait, ma
libido était en folie, j’avalais la vie (l’air de Bruxelles est beaucoup moins
pollué, faut dire), je bouffais à tous les râteliers comme la phrase de
Patrice Chéreau l'énonce si bien : « Je suis un voleur à l’étalage, un
pilleur malin qui prend son bien là où il le trouve et qui mange à chaque repas
toutes les personnes et les œuvres qu’il admire » — et même mon eczéma aux
ailettes du nez, au matin de ce samedi, avait disparu ; Dominique me disait
qu’elle me trouvait rayonnant, des pommettes, une très belle peau. Je dois
reconnaître que cette méthode — simple, écologique, abordable par tous — est
spectaculaire, je ne saurais trop en faire la publicité : je vais bien et je
vous emmerde ! Eh bien, donc, à cette fête, j’avais compris quelque chose.
J’avais parlé avec Thomas Gonzalez — enfin, parlé… touché, échangé, c’est tout
un ensemble de tous les sens : Thomas représente pour moi la définition-même
de la sensualité, homosexuelle, certes, mais la sensualité — et j’avais rencontré à Bruxelles un
garçon extrêmement beau, magnifique, qui m’avait avoué qu’il ne connaissait pas
encore ses zones érogènes (il ne se souvenait même pas du mot), « Comment
ça ? même la bite ? », oui, même la bite, ça ne lui faisait pas
grand chose. J’avais pensé alors qu’il était frigide ou peut-être même atteint
de cette maladie que décrit Michel Houllebecq dans son dernier roman :
qu’un homme peut bander sans en éprouver de plaisir. Mais Thomas m’avait tout de
suite dit : « Ah, ça ! je comprends, pour moi non plus, la bite, c’est
pas grand chose… » Je tombais des nues. Lui qui en a une si belle comme on
peut le voir dans la vidéo du spectacle La Mort d’Ivan Ilitch, une vidéo qui, selon César Vayssié qui l’a postée et regarde parfois les statistiques, fait le tour du monde, ce qui ne
m’étonne pas, l’internationale homosexuelle n’est pas un mythe (ira-t-elle
jusque dans les pays arabes, Manureva ?) « Mais alors, je lui avais demandé, très étonné : quelles sont tes zones érogènes ? » « Eh bien, le périnée, par exemple,
il m’avait dit, et, bien sûr, le trou du cul. » Plus tard, alors, dans le taxi (un
autre) qui m’avait ramené à Paris après que j’eusse abandonné la fête pour cause
de trop de fumée (mon autopersuasion n’allait pas — pas encore — jusqu’à abolir mes
allergies), je pensais que je ne connaissais vraiment encore rien de la vie, de la manière dont les gens s’inventaient des sexualités à partir de données qui
paraissaient a priori très communes et je repensais à cette phrase de
Marguerite Duras sortie de ma jeunesse — c’était Claude Régy qui, à l'époque, me l’avait rapportée et cela le faisait beaucoup rire, il m'avait dit : « Tu connais la dernière de Marguerite... » —, elle avait dit qu’elle
ne comprenait pas comment baisaient les homos parce qu’ils n’avaient « pas
les organes ». Moi, cette phrase, à la différence de Claude Régy, ne me faisait
pas rire du tout, parce que je la trouvais très juste (j’étais complètement
margueritedurassisé, faut dire, adolescent) et, cela, jusqu’à maintenant dans ce taxi lent (70
sur le périf), soit des années-lumière après. Tout d’un coup je comprenais que
la phrase sortie du vide était fausse (donc drôle) et que Dieu, dans son
immense mansuétude, avait placé des zones érogènes aux endroits
stratégiques : la bite pour certains hommes et le trou du cul pour d’autres,
ce qui fait qu’au final les homos se retrouvaient parfaitement équipés pour
baiser ! CQFD. Ça matchait. J’aurais voulu que Marguerite Duras soit encore de ce
monde pour lui téléphoner la nouvelle.
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