L a seule chose dont Dieu manque (une expérience mystique au Point du Jour)
Gwenaël m’avait dit de me
mettre « haut », d’avoir de la place vide autour de moi, que je
puisse m’étaler, m’endormir peut-être, être à l’aise, voir de loin si besoin,
il avait peur que je m’ennuie, et, de fait, c’est vrai que je suis bien irascible
en ce moment au théâtre et donc j’ai fait tout ce qu’il a dit, entraînant avec
moi Antoine (seule entorse au règlement : je n’étais pas seul). Au début donc je me
suis ennuyé. J’avais sommeil. Je me suis donc endormi un peu dans la travée.
Quand je me suis réveillé, il y avait Doña Prouhèze accrochée à son ange
gardien, comme dans Dialogues avec l’ange et c’était si beau que je me suis mis à pleurer. Il y avait longtemps
— depuis quand ? — que je n’avais pas pleuré au théâtre. Et je n’ai pas
pleuré une fois, mais tout le temps. C’est la troisième fois que je vois cette
pièce (Vitez, Py), mais ce n’est pas la moins émouvante. Quand je me suis
redressé, c’était devenu comme une langue étrangère et donc une langue
familière. On n'est familier qu’avec l’étranger parce que nous sommes étrangers,
bien sûr, à notre intimité — de là que nous la sentons résonner dans les
espaces vides que sont les théâtres, les voyages... Je dis qu’il y a au théâtre
du Point du Jour (Coin du Jour, comme dit Jeanne) une résonance extraordinaire, oui — de simplicité sans doute — sur la colline qui prie, un samedi soir au
mois de mars, un jour de grande marée et de grande pollution : le théâtre
émouvant comme une pierre. « Ainsi
toutes ces choses autour de nous qui font semblant d’être présentes, à dire
vrai elles sont passées ? » Le Soulier de satin, troisième journée...
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