Saturday, March 14, 2015

U n ennui indolore


Le nouveau spectacle de Christoph Marthaler est un océan d’ennui et d’une réussite remarquable. Je n’avais pas lu le programme et je me disais que c’était peut-être comme ça, le théâtre d’Eugène Ionesco (que je ne connais pas). (En fait, c’est d'après Eugène Labiche.) Je me disais aussi que Christoph Marthaler avait besoin des grands théâtres de la bourgeoisie (celle qui paye) pour représenter ses spectacles très chers (décors toujours sublimes) et j’admirais donc sa capacité à faire ce qu’il voulait tout en rendant un miroir assez juste à cette bourgeoisie qui payait (car très peu de gens étaient partis, finalement, devant ce spectacle d’un océan d’ennui). Je notais : « Tout est emporté par le temps, rien n’a de sens, tout est bourgeois. » C’est un portrait de la bourgeoisie. La bourgeoisie aime ou n’aime pas, mais veut bien payer quand on lui fait son portrait. La bourgeoisie est mystérieuse. Son mystère : supporter l’ennui (alors que, moi, voyez-vous, je vis dans une chambre de bonne, je ne m’ennuie pas, je suis cigale). Le spectacle de Christoph Marthaler est d’un mystère total, d’un mystère empaillé, d’un mystère de Comédie Française. Phrase culte : « Mes rêves sont avant tout une liqueur ». Ou encore : « Si je suis l’animal domestique de l’océan ou s’il est mon animal domestique, il est vain d’y répondre ». Le mélange des informations de la journée était comme filtré par le spectacle de Christoph Marthaler. J’avais appris (dans « Libé ») que Rosa Luxemburg se sentait comme une mésange charbonnière, vraiment, comme un animal qui avait pris forme humaine et cette information m’avait bouleversé. A la sortie, je rencontrais Jane Birkin (avec Michel Fournier) si belle, si miraculeusement égale à elle-même, si bouleversante — j’aimerais tellement travailler une fois avec elle, je le lui ai dit encore ; elle aimait bien la manière dont j’étais habillé, mais, moi, j’adorais la sienne, et ses cheveux aussi j’aimais bien, elle aimait bien les miens… Et je rencontrais aussi un jeune écrivain, Jean-Philippe Rossignol, qui me disait qu’il venait de publier Juan Fortuna aux éditions Christian Bourgois et, lui, je le notais, disait que c’était un spectacle « sur la mémoire, sur le décrochement de soi, sur la folie »... (Etre biche, cigale, mésange, rossignol...)

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