U n ennui indolore
Le nouveau spectacle de
Christoph Marthaler est un océan d’ennui et d’une réussite remarquable. Je n’avais pas lu le programme et je me disais que c’était
peut-être comme ça, le théâtre d’Eugène Ionesco (que je ne connais pas). (En
fait, c’est d'après Eugène Labiche.) Je me disais aussi que Christoph Marthaler
avait besoin des grands théâtres de la bourgeoisie (celle qui paye) pour
représenter ses spectacles très chers (décors toujours sublimes) et j’admirais
donc sa capacité à faire ce qu’il voulait tout en rendant un miroir assez juste
à cette bourgeoisie qui payait (car très peu de gens étaient partis, finalement, devant ce spectacle d’un océan d’ennui). Je notais : « Tout est
emporté par le temps, rien n’a de sens, tout est bourgeois. » C’est un
portrait de la bourgeoisie. La bourgeoisie aime ou n’aime pas, mais veut bien
payer quand on lui fait son portrait. La bourgeoisie est mystérieuse. Son
mystère : supporter l’ennui (alors que, moi, voyez-vous, je vis dans une
chambre de bonne, je ne m’ennuie pas, je suis cigale). Le spectacle de Christoph
Marthaler est d’un mystère total, d’un mystère empaillé, d’un mystère de
Comédie Française. Phrase culte : « Mes rêves sont avant tout une
liqueur ». Ou encore : « Si je suis l’animal domestique de l’océan
ou s’il est mon animal domestique, il est vain d’y répondre ». Le mélange
des informations de la journée était comme filtré par le spectacle de Christoph
Marthaler. J’avais appris (dans « Libé ») que Rosa Luxemburg se
sentait comme une mésange charbonnière, vraiment, comme un animal qui avait
pris forme humaine et cette information m’avait bouleversé. A la sortie, je
rencontrais Jane Birkin (avec Michel Fournier) si belle, si miraculeusement
égale à elle-même, si bouleversante — j’aimerais tellement travailler une fois avec elle, je le lui ai dit encore ; elle
aimait bien la manière dont j’étais habillé, mais, moi, j’adorais la sienne, et
ses cheveux aussi j’aimais bien, elle aimait bien les miens… Et je rencontrais
aussi un jeune écrivain, Jean-Philippe Rossignol, qui me disait qu’il venait de
publier Juan Fortuna aux éditions
Christian Bourgois et, lui, je le notais, disait que c’était un spectacle
« sur la mémoire, sur le décrochement de soi, sur la folie »... (Etre biche, cigale, mésange, rossignol...)
Labels: paris
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