C hers amis
Maintenant j’écoutais Stromae, il avait fait une chanson contre les réseaux sociaux qui s’appelait Carmen. Comme il avait raison ! Je ne sais pas si on va s’en sortir de ce cauchemar… Tout à l’heure, Antoine m’avait invité à aller écouter Romain au conservatoire de la porte de Pantin et comme j’aime les imprévus, j’avais séché mon cours de danse. En fait, Romain accompagnait au piano la classe de chant du conservatoire. Ils donnaient un opéra de Berlioz, Béatrice et Bénédict, mais c’était pas bien du tout. D’abord la salle était glacée avec une clim qui faisait un bruit de vidéoproj (c’est bizarre, quand même, pour écouter de la musique) et très moche — pourtant dessinée par Christian de Portzamparc (mais les architectes ne peuvent plus rien contre les normes de sécurité, je me disais). Ensuite nous étions à cinq mètres, mais les jeunes chanteurs hurlaient comme s’ils étaient à l’opéra Bastille (où je me mets toujours au dernier rang). Drôle tellement insupportable. A un moment, je me suis souvenu que j’avais dans la poche mes prothèses sur mesure qui me permettent de descendre le volume des sirènes de la rue de 25 DB, ça allait mieux. Quand ils jouaient, ces jeunes vieux (il y avait des scènes parlées), c’était le pire. Ils jouaient plus mal que des acteurs porno ! On ne leur apprend donc rien de ce côté-là ? Ç’aurait dû être comique : ils avaient tous les défauts de leurs aînés — et, après tout, c’est logique, c’est pareil dans les écoles de théâtre, les mêmes défauts que les vieux, ça donnait envie de les tuer dans l’œuf, de les noyer comme des chatons. Bon, c’est très, très difficile, ce qu’ils font, c’est facile de critiquer. Mais jouer, c’est facile. C’était comme (je me disais) s’ils avaient un mépris du jeu théâtral, ils faisaient exprès (de jouer le plus mal possible), on ne peut pas imaginer pire. Alors je suis parti à l’entracte. Dans le parc, c’était encore le crépuscule. J’ai voulu aller voir de près la nouvelle Philharmonie de Jean Nouvel. Quand je me suis approché de l’immense monument (avec quelque chose d’évanescent pourtant), un homme m’a abordé, c’était un revendeur à la sauvette, il n’y avait personne, il voulait me vendre une place qu’il n’avait pas écoulée, une place pour le concert. Qu’est-ce qu’on donnait ? Maria João Pires. Nom de Dieu ! Maria João Pires que je ne connaissais pas il y a peu, mais qu’Antoine (en me parlant de Romain) m’avait fait découvrir par cette célèbre vidéo sur Youtube où on la voit s’être trompée de concerto. Parce que les solistes ne répète jamais avec l’orchestre. Elle arrive avec le public et elle s’aperçoit qu’elle n’a pas répété le bon concerto. Un cauchemar. J’achète la place assez chère, je ne sais pas négocier (mais en disant au marchand : « C’est bien parce que j’aime les imprévus ») et j’attends avec les retardataires que la première partie (sans elle) s’achève. Dans la salle immense et familière, le silence se fait, le vrai silence — c’est donc possible, je me dis : ce que les gosses ne méritent pas, Maria João Pires, elle, le mérite ! Le silence et l’acoustique parfaite, la beauté de cette salle. Alors, ça a été le Concerto pour piano et orchestre n°4 de Beethoven comme jamais et seulement ce soir-là on aurait pu l’entendre. Marguerite Duras. On entendait une mouche voler. Toute l’immense église profane dans une communion parfaite. L’humanité sauvée pendant quelques dizaines de minutes, une arche. Je suis débordé, en ce moment, je deviens fou, le monde m’assaille, le sale monde, j’attends presque avec impatience l’arrivée de Marine Le Pen ou le retour de Nicolas Sarkozy, l’arrivée des ruines, l’humanité galope sur la glace, mais c’est avec de telles extases que je vis encore... On m'avait salué, d'ailleurs, une ouvreuse qui avait vu Baudelaire à Avignon, Rester vivant, et un retardataire avait renchéri : lui n'avait pas pu entrer, c'était complet.
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