Tuesday, October 06, 2015

T out mon art est là-dedans


Je ne peux pas faire plus précis sur ce que je dois dire. Tout mon art est dans ce spectacle. Les Entreprises tremblées. Pourtant ce spectacle ne rencontre pas son public. Les amis viennent, mais pas les amis d’amis. Quant aux amis d’amis d’amis… Quant au public du théâtre du Point du jour, il déserte comme un seul homme. On va arrêter de faire des spectacles. Déjà que c’était le but. D’arrêter. Quelqu’un m’a dit hier : « Je comprends mieux encore ton travail qu’avec le premier spectacle : tout devient spectacle, tout est plein, le vide n’existe pas. » C’est vrai, c’est l’ambition folle comme Icare de s’approcher du réel. Alors non seulement le réel, c’est le spectacle, Vacances dans la réalité, comme dit le poète, mais c’est aussi le paradis. Seulement le paradis est vide. Si c’est devant une salle vide, à qui s’adressent ces leçons ? J’ai trouvé un cours de qi kong, ici, à Lyon, le lundi et le vendredi, très bien. Seulement le cours du vendredi est déjà supprimé parce qu'il n’y a pas assez de monde. C’est comme ça. Si les gens ne viennent pas, ça ne sert à rien. Et ce n’est pas une question de prix puisque c’est gratuit (les avant-premières) ou à cinq euros (les représentations). Du coup, que ce soit gratuit ou à cinq euros et qu’on offre en plus du très bon champagne dévalorise le spectacle puisqu’il n’y a personne : ça a l’air d’être fait parce qu’on est vraiment nul. Gérard Depardieu, quand il travaillait à Nanterre avec Claude Régy (Les gens déraisonnables sont en voie de disparition), se plaignait du prix des places, je ne sais pas quels étaient les prix à l’époque, il disait : les gens déboursent quatre cents francs pour voir Johnny pourquoi, moi, c’est quarante ? Les Entreprises tremblées, les places devraient être à cent euros, c’est sûr, et, de toute façon, comme il n’y a personne, qu’est-ce que ça changerait, cent ou cinq euros ? Ça ne changerait rien. Ce serait même mieux. Imaginez un spectacle qui se jouerait devant une personne qui aurait payé cinquante ou cent euros plutôt que devant une personne qui n’a pas payé ou cinq euros et qui se sent tellement coupable d’être là (et d’avoir siroté du champagne) qu’elle s’en va avant la fin. Tout à l’heure, je commence à répéter le spectacle qui s’appelle Or, le suivant. On ne va pas le répéter. Ce n’est pas la peine. On fera des lectures. Je ferai une lecture. Avec l’argent économisé sur le salaire des interprètes, je voudrais payer une personne capable de me ramener un public, d’aller dans les facs, etc. et des gens capables de distribuer le journal soit-disant tiré à dix milles exemplaires, mais que la boîte de distribution jette dans le caniveau (pour mille deux cents euros, quand même, l'opération).

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