T exte avec une citation espagnole en titre (n'est-ce pas chic ?) — attention à conserver les italiques si tu l'utilises
« Si se acaban las nubes y empieza alguna otra cosa »
C’est si difficile d’écrire sans jalousie. L’un de mes spectacles-fétiches, celui où justement j’ai écrit, s’appelle Domaine de la jalousie. Le titre avait été donné au hasard comme toujours puisqu’il faut des titres en avance. Mais il se trouve que le spectacle était sur la littérature, le thème de la littérature, domaine où la jalousie est au plus haut. Xavier Veilhan semble avoir résolu ce problème : il dit qu’il aime un grand nombre d’artistes. Une générosité de star. Moi aussi, j’aime les autres quand je travaille. Quand je ne travaille pas, je les hais. L’époque ou, comme l’on dit, la civilisation, est en train de s’effondrer. Il y a quelque chose d’autre qui commence et je pense qu’on le voit depuis un bon moment chez Xavier Veilhan, que quelque chose commence. Il a un peu d’avance. Il aime les autres. J’espère qu’on le voit chez moi aussi. Je le vois, moi. Il y a un fond de ténèbres. Le fond de l’écriture, au moins depuis Baudelaire, est le fond du « panache ». C’est sur cette nuit noire — ok, les ténèbres — qu’il faut écrire ou créer des objets inconnus, fabriqués de ténèbres. La table rase, la page blanche, ça n’existe pas, c’est le fond des ténèbres qui seul capture le son et le sens. Il y a ce vers célèbre de Victor Hugo : « L’hydre-univers tordant son corps écaillé d’astres ». Xavier Veilhan, son nom est un poème : xavier veillant, le poème d’un garçon sur l’oreiller. Ce n’est pas lui, mais c’est lui que j’aime : il veille. Il est bleu et blanc, il inscrit des beautés très vastes et très larges dans l’espace public. Il réfléchit. C’est sur fond de ténèbres que ça se lit, la beauté. Parce que rien n’est jamais qu’apparence, même les plus durs matériaux — et, quant aux êtres de chair, ce n’est rien, fantômes et transparences, laissent passer la lumière, des voilages, des robots transparents. Les chevaliers blancs sont d’azur et de temps.
Million d’oiseaux d’or, si l’on veut faire aussi beau que Rimbaud.
Yves-Noël Genod
Voilà, je te propose ce texte (ci-dessus) (je ne te le propose pas glorieusement, mais enfin…) Je l’ai écrit avant de regarder les performances avec ce que tu m’as dit à l’heure du déjeuner hier ; ensuite, j’ai regardé les performances et j’ai noté des choses et d’autres, mais qui se trouvent déjà dans ce texte, je crois (qui a l’avantage de ne pas être retouché, je pense que c’est toujours mieux, j’ai même laissé la phrase stupide : « je pense qu’on le voit depuis un bon moment, chez Xavier Veilhan, que quelque chose commence » (tu en apprécieras l’ironie, j’espère : pour moi, depuis trois jours…)) Ma performance préférée est celle de la maison californienne avec l’encre (ou ce qu’il appelle le « Black Vail », mais je n’ai pas trouvé sur Internet ce que c’était) et la fumée. Pourquoi ? parce qu’il utilise le lieu, ici cette sublime maison, dans ses possibilités de « poème », c’est ce que j’aime faire aussi : le lieu devient le poème (et le spectacle). Quand il parle de la Californie, il dit ça : « j’aime bien cette dimension un peu profonde qu’il y a derrière aussi, qui est un peu psychologique, un peu noire parfois, pour faire court : c’est très lynchien. » Et, bien sûr, Vanishing Point… des points communs faciles. Comme tu dis, Hedi Slimane, le champagne à l’entrée (mais, moi, dans des flûtes en verre, sinon je crise, c’est pour ça qu’ils veulent plus de moi au Rond-Point : j’ai crisé — et qu’ils voudront jamais de moi à Beaubourg), la boule noire qui renvoie à un spectacle que j’avais fait avec Nicolas Moulin (c’est idiot de citer un autre artiste, je pense) et je me souviens que Nicolas aimait beaucoup (c’était ce qu’il préférait) le jeu avec la boule noire qui était une simple boule de bowling trouvée dans un vide-grenier un jour près de chez moi, mais qui lancée revenait vers les spectateurs à cause du sol à l’époque cabossé invisiblement en pente de la Ménagerie, ça dans la lumière grise d’une seule bougie chauffe-plat cachée derrière une poutre métallique du plafond (mais après un noir absolu de trente-cinq minutes), c’était quelque chose, en effet, cette boule noire, le spectacle ne s’appelait pas Vanishing Point, mais Le Dispariteur, il était conçu en utilisant le lieu (salle surnommée le Off) de la Ménagerie de verre comme un instrument, c’est mon spectacle le plus « plastique » peut-être parce qu’il résultait de plusieurs mois de rêverie auprès de Nicolas Moulin… (j’avais ensuite signer le spectacle seul). C’était en 2005. C’est-à-dire dans la même période que ce spectacle de Xavier Veilhan (que je ne connaissais pas)…
Voilà, dis-moi si ça te convient ou si je dois réécrire quelque chose dans un autre sens…
T’embrasse,
Yvno
Labels: correspondance
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