R enard Subtil
La tentative est ambitieuse : partir de la subculture la plus sub, les mangas, soi-disant, mais, plus généralement, n’importe quoi qui traîne sur Youtube, Facebook et le dernier des Mohicans pour en construire, en bâtir un spectacle de cirque, enfin, de cirque rebaptisé « cirque hybride » (parce que, moi, j’adore le cirque et, là, c’est pas gentil pour le cirque). On a le cerveau tout bousillé, tout défait, mais on a encore la force de tout détruire. C’est comme, dans la manif' contre la loi du travail : « FALLAIT PAS NOUS FAIRE CHIER », meilleure banderole. Voilà. Alors, donc, le pire du pire, les bas-fonds, l’avant-garde existe je l’ai rencontrée. Dans l’Uber qui me conduisait lentement vers la porte des Lilas, le chauffeur disait souvent : « Jésus... Jésus... ». « Vous croyez en Jésus ? — Ah, et comment ! Sans lui, il n’y aurait pas des espoirs, sans lui il n’y aurait pas des espoirs… » On se plaint souvent que l’underground n’existe plus, que les chemins sont balisés — l’underground ? Allez vous recueillir à l’Hentaï Circus, sous le chapiteau du Cirque Electrique, porte des Lilas, et ne venez pas pleurer, vous aurez tout vu (pour pas cher). C’est de la grosse baraque de foire. Le papier-peint se décolle. Vous voulez de l’avant-garde ? Du dada de maintenant ? De la tarte à la crème ? Vous en aurez ! J’étais invité. Je suis invité partout, c’est ma chance et ma misère. Je ne paye pas, c'est ma chance, mais, après, je me sens obligé de faire un petit papier pour remercier. J’étais tout seul, mon ami du jour était descendu une station plus loin. J’avais laissé son ticket à la caravane de l’entrée, la madame n’allait pas l’attendre trop longtemps, mais le chapiteau était vide — et ce grand vide, entre deux averses, un dimanche, c’était déjà bien. Comme, en plus des numéros criards et déglingués, les projections vidéo passaient en boucle comme dans tout quart-monde (c'est-à-dire : qui devient le monde) qui se respecte, je me suis autorisé à faire du téléphone.
— Tu me dis quand t’es là, je m’ennuie…
— Je suis là, mais du mauvais côté, des peluches me coupent le passage
— Je te vois pas, mais je vais bientôt me tirer
— Ok, bin, moi aussi. Ça devient dégueu, là
— Lol
— C’est Kate Moran ?
— Voilà. Et c’est un spectacle de Bob Wilson. C’est émouvant, le cirque. De quoi ils vivent, ces pauvres gens ?
— Ils ont de petits besoins, je pense
— Bin, quand même, la bière… Depardieu ?
— Dutronc, plutôt. Ah, bin, voilà de quoi ils vivent
— Le ménage à poil ?
— Oui
— Ça me fait peur, maintenant
— Pas mal, le drag
— Ce qui est bien, c’est que, là, on est dans l’underground. Y a un drag ? ah, oui. Tu dois mieux le voir que moi sur ce coup. C’est pour les enfants ?
— Ça fait peur, en effet. C’est du Markus Öhrn +++. Ahah, oui, on dirait
— Ah, oui, c’est ça, on s’approche… Bon, allez, le final ! Les seins sont faux, mais ils sont pas mal, non ? (c’est elle qui a invité). Je crois que c’est le final, ça
— Oui, je me disais qu’il lui restait plus qu’une culotte… Attendons un peu
— Maintenant qu’ils ont fait venir la pluie, ils peuvent nous coincer jusqu’à la fin des temps... Au début, t’as pas vu, y avait un vrai chien, j’ai cru que c’était un faux, il était pétrifié de honte. Ah, ça, c'est toi, non ?
— Ils l’avaient drogué
— Et la drogue, qui la paye ? la mafia ?
— J’ai vu une main dans une poche pendant les hugs au public
— Bravo, les idoles ! Titre du spectacle : Si Fellini avait été un con
Bref, ça s’arrête là, après on est sorti sous la pluie, on a attendu un peu la petite pépée qui nous avait invités et puis on est parti et, bref, c’est hautement conseillé. Ça m’a beaucoup plu, en fait. C’est comme la rencontre que fait Pinocchio avec les mauvais garnements, je ne sais plus, le renard et je ne sais qui, qui l’entraînent dans un (sale) parc d’attraction. Finalement, c’est d’une surprise totale. Je n’avais vraiment aucune idée de ce qui pouvait encore apparaître de derrière le rideau. Du laid, de l’affreux, du cassé, du crade. Jérôme Bel qui travaille sur la laideur, eh bin, c’est un p'tit joueur. C’est à peu près du niveau du premier spectacle de Lætitia Dosch où elle racontait des blagues les plus crades et les plus insupportables sur les Juifs, les Nègres, les homos, les femmes, les handicapés… Ou bien du niveau de notre disque (on avait un groupe) au début de ma carrière (je ne vais peut-être pas dénoncer mes petits copains, certains célèbres maintenant, que j’avais entrainés) dont Philippe Katerine avait dit qu’il l’avait écouté allongé sur son lit, en boucle, deux fois donc et qu’il avait été « à la fois horrifié et émerveillé ». Que demander de plus à l’art ? nous horrifier et nous émerveiller... Nous surprendre. Mon ami, avec un à-propos, m’offrait un livre emballé par Colette : Journal, de Witold Gombrowicz. C’est vrai, le maigre public, presque debout, applaudissait à tout rompre : les artistes semblaient presque étonnés…
Jusqu'au 19
Jusqu'au 19
Labels: paris
0 Comments:
Post a Comment
<< Home