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Aujourd’hui, le prof de danse américain a dit qu’il s’entrainait à lire un texte, il n’a pas dit pour quelle occasion, et qu’il demandait à des amis de le corriger. L’un deux lui a dit qu’il avait une manière anglo-saxonne de lire, que les Français « lisaient en séduisant » (et il nous encourageait, puisque nous étions Français à danser nous aussi « en séduisant »). En sortant, vraiment cassé (plus j’essaie de bien faire, plus ça me détruit), j’ai rencontré une vieille dame aveugle qui m’a demandé de l’aider à ouvrir sa porte, au deuxième étage, m’a-t-elle dit, mais, en fait, au troisième (c’est en touchant la poignée, qu’elle a dit : « Non, c’est pas là »). La regarder monter l’escalier serré était quelque chose… comme si elle grimpait en haute montagne, agrippée de tous ses bras à la rampe. Quatre-vingt-quatorze ans. Elle m’a dit : « Vous verrez quand vous aurez quatre-vingt-quatorze ans… » Je lui ai répondu que je n’étais pas sûr d’y arriver. Elle m’a dit alors : « Moi, non plus, je ne pensais pas y arriver, avec tout ce que j’ai vu, la guerre, la privation… » Je lui ai demandé si ses yeux presque aveugles, c’était la cataracte (puisque on m’a, moi, diagnostiqué un début) : « Non, c’est la vieillerie… » Elle a trois chats qui sortent sur le palier, mais pas plus loin, parce qu’elle a récupéré les deux de sa voisine décédée il y a six mois, « J’en avais un, je me retrouve avec trois. » Elle a décidé de ne plus fermer sa porte, elle n’arrive plus à l’ouvrir. Je lui ai dit que c’était une bonne idée. Elle m’a dit : « De toute façon, ça fait soixante-dix ans que je suis ici, y a jamais eu de voleurs ». Le problème de la porte étant résolue, reste l’escalier. J’aurais peut-être dû la porter. Je l’ai aidée à se relever quand elle s’est assise sur une marche. J’ai senti sa maigreur, sa vie, son sang toujours vivant.
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