Sunday, September 11, 2016

M on règne est officiel


Quel plaisir de retrouver l’absolue princesse Jeanne Balibar (que j’ai mise en scène dans trois spectacles et avec qui j’ai joué chez Julie Brochen) dans sa pleine vitalité, sa beauté, son incroyable générosité, son talent (l’art du sourire) ! Cette fille, une étoile. Ça se passe d’ailleurs en plein jour, une journée sublime (hier) dans une friche industrielle sublime à La Courneuve, en plein jour, par une journée sublime où il faut quand même se caler dans un fauteuil pendant six heures trente (un entracte), je ne vais pas le cacher, ça demande un effort. Il s’agit des Frères Karamazov, alors… Mais les acteurs sont tellement forts qu’ils réussissent, malgré tout ce texte (et cette littérature), à devenir des bêtes, des animaux, des animaux inoubliables, à suggérer la condition humaine dans son mystère comme une terrifiante animalité. Jeux outrés, expressionnistes, veines du cou saillantes et surarticulation allemande même filmés de près, ils débitent en hurlant, hors d’eux, possédés et pourtant dans l'amusement d'un incroyable second degré (peut-être les acteurs de Shakespeare jouaient-ils comme ça...) les kilomètres de cette littérature fascinante car presque incompréhensible pour les Occidentaux (sauf pour Gérard Depardieu), une littérature qui va dans tous les sens, c’est-à-dire autant dans la folie que dans la raison et même, on peut dire, complètement dans la folie parce que, si l’égalité est de fait, qu’est-ce que la raison ? Frank Castorf a raison de dire dans « Le Monde » (de ce week-end) qu’à côté « Goethe est comme un lac de montagne clair et limpide », à côté de Dostoievski qui, lui, serait comme un torrent (de montagne) qui arrache tout. « Il dit ce qu’il pense et parce qu’il dit tout, il est très proche de la vérité. » Vous connaissez l’histoire du rabbin qui prie Dieu tous les jours, plusieurs fois par jour : « Oh, mon Dieu, faites que je gagne au loto, faites que je gagne au loto... » ? Pendant trente ans, il ne pense qu’à ça, il ne demande que ça et avec une si rare obstination qu’à la fin Dieu, exaspéré, répond de sa voix de tonnerre : « Mais… au moins, JOUE ! » Oui, c’est ce que dit cette littérature de spectacle. « L’homme est libre seulement dans le jeu », cite encore (de Schiller) Frank Castorf dans cette interview du « Monde » (qu’on trouve encore). « Il ne s’agit pas de ce que j’imagine, mais de l’exécution de ce que nous sommes en train de faire, ensemble. » C’est un génie du théâtre, Frank Castorf qui vient de se faire virer de la Volksbühne. Mais pourquoi on ne l’accueillerait pas en France à la place d’un de ces gros nazes d’arrivistes qui dirigent fastidieusement nos théâtres ? (Que personne ne se sente visé, je donnerai les noms la semaine prochaine.) Et, nous, quel dommage qu’on n’ait pas eu le temps de le jouer, Dostoievski, à Lyon où nous avons fait pourtant beaucoup de belles choses, mais où nous avions encore plus d’ambition, Virginia Woolf, Dostoievski, nous avons répété cela… C’est triste, ces choses que j’ai toujours sous les yeux (Zoé Lemonnier, Virginia Woolf, Antoine Truchi, Dostoievski) inachevées et qui n’ont pas été jouées. 

Labels:

0 Comments:

Post a Comment

<< Home