Monday, August 07, 2017

L 'Hiver


« Dans quinze jours, ce sera trop tard pour tourner ces films ; nous sommes encore dans l’hiver – nous sommes à la fin du mois de février -, et c’est le temps exact, le temps précis qui est nécessaire pour tourner les films de l’été. Je veux dire par là que les films de l’été se tournent l’hiver ; je peux même aller plus loin, je dis que le cinéma se fait en hiver. C’est-à-dire pendant l’absence, l’absence même du sujet, la fuite même des conditions du sujet, c’est-à-dire de la chaleur, d’une aise à vivre, d’une sorte de vacation de l’être humain, de son jeu. C’est en hiver seulement qu’on peut témoigner du bonheur de vivre. C’est en hiver – quand il est impossible, quasiment impossible, justement, d’accéder à cette aise à vivre -, qu’on peut en témoigner. La jeune fille et l’enfant n’ont pas existé, ils n’ont jamais existé, en aucun cas ; et c’est maintenant, en plein hiver, que je suis capable de rendre compte de ça, de l’imagination que j’en ai eue. Agatha n’a pas existé, la villa Agatha n’a pas existé. Et c’est maintenant, en plein hiver, alors que c’est le récit de vacances d’été entre un frère et une sœur, que l’inceste – puisque c’est un film sur l’inceste -, que l’inceste s’est déclaré ; c’est maintenant, en plein hiver, que je peux en témoigner. On atteint là à une contradiction essentielle, à un paradoxe essentiel du cinéma. C’est par le manque qu’on dit les choses, le manque à vivre, le manque à voir. C’est par le manque de lumière qu’on dit la lumière, et par le manque à vivre qu’on dit la vie, le manque du désir qu’on dit le désir, le manque de l’amour qu’on dit l’amour ; je crois que c’est une règle absolue. Je crois que la plénitude du désir, de l’amour, de la chaleur, de l’aise à vivre… ne comporte en soi aucun manque à être, donc ne peut pas se dire. Je crois que c’est à partir du manque d’être – d’être dans le désir, dans l’amour, dans l’été -, qu’on peut dire l’amour, le désir, l’été et… l’inceste, c’est-à-dire le crime. Je ne dis pas que je vais réussir à le faire ; je dis que je le ferai selon moi, du mieux que je peux. C’est-à-dire toujours de la même façon, en donnant moins à voir et plus à penser, et plus à entendre. »

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