F aire le fou
« Vous voyez, comme y jouant un rôle essentiel, ces personnages divers qu’on appelle les clowns, qu’on appelle les fous de la Cour qui sont à proprement parler ceux qui, ayant leur franc-parler, peuvent se permettre de dévoiler les motifs les plus cachés, les traits de caractère des personnes que la politesse interdit d’aborder franchement. C’est quelque chose qui n’est pas simplement cynisme et jeu plus ou moins injurieux du discours, c’est essentiellement par la voie de l’équivoque, de la métaphore, du jeu de mots, d’un certain usage du concetti, d’un parler précieux, de ces substitutions de signifiants sur lesquels ici j’insiste quant à leur fonction essentielle : ils donnent à tout le théâtre de Shakespeare un style, une couleur, qui est absolument caractéristique de son style et qui en crée essentiellement la dimension psychologique.
Le fait qu’Hamlet soit un personnage angoissant plus qu’un autre, ne doit pas nous dissimuler que la tragédie d’Hamlet c’est la tragédie qui — par un certain côté, au pied de la lettre — porte ce fou, ce clown, ce faiseur de mots au rang du zéro. Si par quelque raison on devait ôter cette dimension d’Hamlet de la pièce de Shakespeare, plus des quatre cinquièmes de la pièce disparaîtraient comme l’a remarqué quelqu’un.
Une des dimensions où s’accomplit la tension d’Hamlet, c’est cette perpétuelle équivoque, celle qui nous est en quelque sorte dissimulée par le côté, si je puis dire, masqué de l’affaire.
Je veux dire, ce qui se joue entre Claudius, le tyran, l’usurpateur et le meurtrier Hamlet, c’est à savoir le démasquage des intentions d’Hamlet, à savoir pourquoi il fait le fou.
Mais ce qu’il ne faut pas oublier, c’est la façon dont il fait le fou, cette façon qui donne à son discours cet aspect quasi maniaque, cette façon d’attraper au vol les idées, les occasions d’équivoque, les occasions de faire briller un instant devant ses adversaires cette sorte d’éclair de sens.
Il y a là-dessus dans la pièce, des textes où ils se mettent eux-mêmes à construire, voire à affabuler. Cela les frappe non pas comme quelque chose de discordant, mais comme quelque chose d’étrange par leur tour de spéciale pertinence. C’est dans ce jeu qui n’est pas seulement un jeu de dissimulation, mais un jeu d’esprit, un jeu qui s’établit au niveau des signifiants, dans la dimension des sens, que se tient ce qu’on peut appeler l’esprit même de la pièce.
C’est à l’intérieur de cette disposition ambiguë qui fait de tous les propos d’Hamlet, et du même coup de la réaction de ceux qui l’entourent, un problème où le spectateur lui-même, l’auditeur, s’égare et s’interroge sans cesse, c’est là qu’il faut situer la base, le plan sur lequel la pièce d’Hamlet prend sa portée. Et je ne le rappelle ici que pour vous indiquer qu’il n’y a rien d’arbitraire, ni d’excessif à donner tout son poids à ce dernier petit jeu de mots sur le foil.
Voici donc la caractéristique de la constellation dans laquelle s’établit l’acte dernier, le duel entre Hamlet et celui qui est ici une sorte de semblable ou de double plus beau que lui-même. »
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