« #mammifèressupérieurs »
Paris, le 26 février 2019
Madame, Monsieur,
Aurélien Batondor est un mammifère supérieur que j’ai employé au débotté plusieurs fois. J’insiste sur « au débotté » parce que ça me paraît une qualité suprême de l’acteur. Vivre comme jouer. Travailler vite comme je le fais demande de faire confiance à ses intuitions. Aurélien Batondor (un nom de scène inoubliable) travaillait au bar du théâtre de l’Arsenic quand je suis allé le chercher un vendredi soir à dix heures pour lui demander de remplacer une actrice expérimentée dans une scène de couple très chargée qu’on avait travaillée pendant une semaine. Une longue dispute, un truc à la Actors Studio. Il voulait bien essayer. Peut-être avait-il un peu bu. Un costume, une perruque, pas en femme quand même, il restait homme, mais efféminé, et le couple devenait LGBT (ce qui est plus dans l’air du temps, moins années cinquante). Et, là, j’ai vu un acteur. Une apparition. C’est-à-dire quelqu’un d’absolument dévoué à son instinct (son génie personnel), faisant effectivement confiance à ses intuitions (« à tout moment, l’artiste doit écouter son instinct, ce qui fait que l’art est ce qu’il y a de plus réel, la plus austère école de la vie, et le vrai Jugement dernier », Marcel Proust, Le Temps retrouvé). Inventif et audacieux, trouvant les solutions, à tu et à toi avec ses partenaires qu’il ne connaissait pas quelques instants auparavant, apparemment sans surmoi, insaisissable comme un enfant, pas normé, encore vierge comme — si c’était possible — quelqu’un sorti de la rue qu’on aurait posé là sur le plateau sans qu’il s'en rende compte. Intact. Le vendredi soir, on a vu que c’était possible (il est retourné au bar), le samedi après-midi on a répété, le samedi soir on a joué, il n’était pas satisfait, alors il a re-répété seul le dimanche après-midi et le dimanche soir, c’est vrai, a ressemblé à une première (et le samedi donc à une générale), son plaisir était entier. C’est quelqu’un qui dans cette circonstance s’est révélé ultra-professionnel. Il a saisi sa chance. Je m’attarde sur son début car je me sens — peut-être à tort — un peu responsable de son désir de rejoindre l’art dramatique : je le lui ai demandé, il a magnifiquement répondu à ma demande. Si je ne lui avais pas proposé, s’y serait-il mis ? Ensuite, je l’ai employé, l’an passé, dans Hamlet Poem Unlimitted où il était parfait. Cet automne, il a été le premier à qui j’ai osé montrer mon travail sur Phèdre, le premier œil extérieur. Je l’encourage vivement dans cette voie — tout comme, si vous me le permettez, je vous encourage vivement à porter attention à sa candidature d’une grande légitimité.
Veuillez recevoir, Madame, Monsieur, l’assurance de mes sentiments les meilleurs,
Yves-Noël Genod
Labels: correspondance
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