Sunday, January 05, 2020

M olière


Cher Yves-Noël, 
Comment vas-tu ? Pardon de te répondre que maintenant, on a eu la performance de 48 heures, puis le bal de Noël, puis les fêtes, blablabla... J'espère que tes fêtes furent douces ! Bref, OUI, Andy Kaufman ! Génie ! comme The Office et cette équipe de comiques américains qui vivent au bord de leur propre esprit parfois. L'Amérique est un pays étrange, schizophrène entre la culpabilisation du puritanisme et la pression d'être libre du néolibéralisme. Tout ça va mal finir...
J'ai lu et transmis ton mail à la classe, merci beaucoup ! Voici l'adresse de Sarah Moschler au cas où : sarah@moschler.name
Quant à ce que je voulais te dire moi en réponse à ton mail, c'est que j'ai trouvé ton cours ABSOLUMENT, et je pèse mes mots, EXTRAORDINAIRE et le moment qu'on a passé ensemble précieux, précieux, précieux. 
Ta capacité à sentir et nous faire voir des choses de l'impalpable qu'on apprivoise sur un plateau m'a bluffée et je trouve très inspirant de travailler par le biais que tu empruntes. Comme si, l'impalpable n'avait plus besoin d'être justifié, mais pouvait juste sans effort être manifesté ou se manifester. 
J'aurais aimé être plus courageuse sur le plateau, mais en voyant comment tu travailles, je me dis que c'est pas vraiment une question de courage, plutôt une question de générosité. Soyons généreux dans ce que nous transmettons de ce que nous avons capté. Pardon, j'ai l'air un peu solennelle, mais je réfléchis en même temps que j'écris. 
Aussi, je fais que de penser à « littéralement et dans tous les sens ». J'ai l'impression qu'avec l'écoute globale que tu proposes, il n'y a pas de nécessité à faire dissocier le créatif du passif, le chaos de l'ordre, le monde s'en charge pour nous. 
Bref, c'était trop super ! 
A lire vraiment : c'est Eloge du risque, de Anne Dufourmantelle — je pense que ça va faire écho littéralement et dans tous les sens. 
Merci encore, à la prochaine ! Et que 2020 (nouvelle décennie, c'est fou) soit une belle année pour toi, 
Anouk



Merci beaucoup pour cet enthousiasme, chère Anouk ! C’est beau que tu parles de générosité (tu en as beaucoup, soit dit en passant). Je vais insister sur ce point avec mes étudiants de Rennes. Moins une question de courage que de générosité. Je réécoute un entretien radiophonique avec François Sureau et je recopie : 
« Quelle est votre idée de la liberté ? 
— C’est la vie. Et je vais vous dire, vous vous souvenez des Enfants du paradis, de Marcel Carné ? Y a un moment où un acteur demande à Arletty, il lui dit : « Vous êtes belle » et Arletty lui répond : « Je ne suis pas belle, je suis vivante ». Et, au fond, j’ai souvent pensé à ça. C’est la liberté qui nous rend vivants, nous, en tant que Français, en tant que nation, en tant qu’Européens, en tant qu’Occidentaux. C’est la liberté qui nous rend vivants. S’il s’agit d’établir la société des Aztèques où, au fond, nous craignons le déferlement et le retour des forces du chaos et nous voulons des policiers partout pour nous en préserver, nous pensons que la sûreté et la sécurité absolue sont la seule valeur qui tienne, eh bien, créons la société des Aztèques, mais cessons d’être Français. On ne sera jamais aussi bons que des Chinois dans le contrôle administratif. Et c’est quoi, être vivant ? pour une femme ou un homme comme pour une nation, c’est se tromper. Nous nous sommes souvent trompé. Nous avons fait la colonisation, une décolonisation médiocre, nous avons eu des régimes variés. On n’a pas fait ce qu’il avait fallu. Mais l’une des raisons pour lesquelles nous pouvons continuer à nous aimer, l’une des raisons pour lesquelles les gens continuent à nous aimer, c’est ce caractère vivant. Ce caractère vivant ne dépend que d’une seule chose qui est la liberté. Il y a une chanson de Béranger magnifique qui s’appelle A mes amis devenus ministres […] Cette chanson est magnifique, A mes amis devenus ministres, quand il dit : « De ce palais souffrez donc que je sorte », « La liberté s’offre à nous pour soutien ». « Je vais chanter ses bienfaits dans la rue. / En me créant Dieu m’a dit :  Ne sois rien. »
« Peut-on susciter l’amour ? Et y a une phrase de Molière comme ça — qui va paraître très anti féministe aujourd’hui — où il dit : « La grande ambition des femmes est d'inspirer de l’amour ». Voilà. Eh bien, je trouve que ça devrait être la même chose pour nous, pour chacun d’entre nous. Notre grande ambition devrait être, quand on se parle entre nous, quand on parle à tout le monde, quand on parle à nos enfants, quand on parle aux enfants des autres, quand on parle à ceux qui ne sont pas Français, d’inspirer l’amour de la liberté. Je pense que c’est une action individuelle, je pense que c’est quelque chose de très intime, je pense que c’est quelque chose de très profond. Nous devrions avoir une oreille plus fine pour ceux qui ne sont pas prêts, n’aiment pas, ne veulent pas, ont peur d’eux. Laisser parler entre eux ce sentiment de la liberté qui est, au fond, aussi puissant que le sentiment de l’amour et sans lequel il n’y a effectivement pas grand chose. Parce que l’expression de ce sentiment, c’est notre honneur collectif. »
Mes meilleurs vœux, 
Yves-Noël

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