Thursday, February 06, 2020

C onservateur


« Dans un texte publié en 1986, Jacques Derrida avance qu’il y a des moments de l’humanité où des individus ou des situations particulières en viennent à incarner quelque chose de beaucoup plus grand qu'eux. Ils incarnent ce qu’il appelle le « destin de l’humanité », le tout du monde, une situation dans laquelle chacun sent qu'il en va de la gouvernementalité générale, de l'économie des forces à l’œuvre dans le monde et à laquelle chacun d'entre nous est, malgré soi, exposé. 
Derrida affirme que, alors qu'il écrit ce texte en 1986, celui dont la vie synthétise ce tout du monde, c’est Nelson Mandela. Il mentionne aussi ce qui se passe en Palestine-Israël. Je pense que ce qui se passe aujourd'hui autour des figures que nous honorons, Edward Snowden, Chelsea Manning, Sarah Harrison et Julian Assange représente ce type de situation où le destin de l'humanité est en jeu. Le sort de ses quatre individus est aussi important et devrait susciter la même indignation mondiale que celle de Nelson Mandela. Il en va aussi dans ce combat de la protection de la vie et de la mise à mort, de la guerre et de l'Etat, de la vie privée et de l'exposition au pouvoir, de ce qu’on appelle parfois la démocratie.... 
Le texte de Jacques Derrida s'appelle « Les Lois de la réflexions ». Car ces moments où une situation spécifique en vient à synthétiser des forces globales sont souvent des situations où une tradition se retourne contre elle-même, où tout le monde utilise les mêmes mots et les mêmes valeurs, se revendiquent de traditions identiques, en sorte que le conflit produit une autodestruction de la culture instituée, qui oblige à en réinventer les fondements et les pratiques. Mandela était avocat, et il a utilisé la tradition du libéralisme occidental pour combattre ses oppresseurs qui eux aussi  se revendiquaient de l'occident.
N'est-ce pas exactement une situation identique qui se déroule sous nos yeux, où les 4 figures auxquelles nous rendons hommage se revendiquent des mêmes valeurs que les gouvernements qui les menacent, celles du droit, de la démocratie, du respect de la Loi....
Comme vous le savez, Il y a une différence notable entre Edward Snowden et par exemple Julian Assange. Assange est d’une sensibilité libertaire, anarchiste, il a toujours exprimé une forme d’opposition par rapport à la raison d’État alors que, comme il le raconte dans ses mémoires et comme il suffit de l’écouter pour le savoir, Snowden est plutôt un conservateur. C’est quelque chose de très classique chez les lanceurs d’alerte. Car ce sont par définition des individus plutôt conformistes à la base. Ils étaient intégrés au système, ils croyaient au système. Dans ses conférences, Snowden ne cesse d'employer des mots ou des concepts extrêmement classiques, peut-être même conservateurs, mais paradoxalement c’est ce conservatisme axiologique  qui le pousse à se trouver dans une position de frontalité par rapport à ce que l’on appelle l’ordre démocratique libéral et par rapport aux gouvernement qui sont censés en représenter les valeurs. » 

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