Tuesday, March 10, 2020

R aphaëlle en comparaison à Marlène


Que te dire, chère Raphaëlle ? 
Je suis complètement fan de ce que tu fais, alors, tu changes rien, c’est comme ça, c’est parfait ! Je dois t’avouer que j’ai très rarement dirigé quelqu’un. Ça m’est arrivé dans le dernier Hamlet et c’est à peu près tout. En général, je travaillais avec des gens très doués et pas sur des pièces ; donc ils arrivent, ils font ce qu’ils font le mieux et le spectacle est fait. Exactement comme tu as fait avec tes chansons. J’ai dit à Marlène Saldana, après l’avoir vue à la fin d’un stage dont je devais prendre la deuxième semaine (c’était mon premier stage, d’ailleurs) : « Toi, tu es très douée, on fera ce que tu voudras ». Et j’ai été très fier, rétrospectivement, d’avoir dit la bonne phrase au bon moment (sans la préméditer, bien sûr, comme toujours ce qui est dit au bon moment) : on a fait vingt-cinq spectacles ensemble où elle a fait exactement ce qu’elle voulait et où j’ai fait moi-même exactement ce qu’elle, elle voulait (c’est comme ça, travailler ensemble). Le programme annoncé a été tenu. A tous les autres, j’ai souvent dit : « Ne faites que ce que vous savez faire, il n’y a pas le temps que vous cherchiez autre chose ». Et je leur ai dit aussi : « Imaginez que vous faites une publicité pour vous-même ». Bref, rien de ceci n’a de sens autre que de te dire : tu as parfaitement compris le travail et très rapidement. Parfois, quand tu te prends la tête avec des questions, tu te retardes — mais tu n’es pas du tout obligé (je pense que c’est parce que tu es dans une école, ça crée ça, d’en passer par la tête parfois, ce jeu du retard (considérable) que cela crée…) Il est arrivé, pour être franc, à Marlène avec qui je te compare, d’essayer de « changer sa manière », d’essayer d’apprendre de moi une autre manière (par exemple, une manière de dire du Phèdre), mais ça n’avait aucun sens. Ça ne sert à rien de se ralentir. La vie est courte, il faut tout faire à fond, et ne pas faire ce qu’on ne peut pas faire à fond. Sauf par masochisme (moi qui prends des cours de danse classique !) Dans un autre spectacle, plus tard, elle est revenue avec du Phèdre, d’ailleurs, mais avec l’accent créole, et, là, c’était bien sûr irrésistible. A un moment, Valérie Dréville qui était aussi dans le spectacle s’est mise à lui souffler des gradins. Et, ça ! j’ai trouvé ça tellement extraordinaire, que Valérie, la vraie tragédienne française, souffle à Marlène elle dans un numéro de déconnade pure que je l’ai mis en scène. Marlène finissait en sortant en disant : « Rome ! Rome ! Qu’on me donne du rhum ! (Temps) Avec du Coca (Temps.) Zéro », mais les gens hurlaient tellement de rire qu’on entendait rarement, hélas, le « zéro ».   
Fais-toi confiance, fais confiance à ce talent extrêmement rare que tu as. Et amuse-toi.
Ce qu’il y a, c’est le rapport au réel, qu’il faut accepter de vivre intensément et de manière complexe — et ça ne passe pas par les mots et sans doute pas non plus par la pensée (en tout cas, au sens traditionnel). Avec Tchekhov, tu peux rêver à ce face-à-face. Moi, en tout cas, en te voyant jouer cette pièce — et je te jure que je ne m'en lasse pas, c’est chaque fois, pour moi, une surprise de te voir refaire les mêmes choses —, je peux « rêver » ce face-à-face de Tchekhov avec le réel. 
T’embrasse, 
Yves-Noël

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