L a Douleur
Je lis cette expression : « la douleur intérieure » et me revient une scène presque rêvée — aussi parce que la comédienne Andrée Tainsy est morte récemment. C’était une lesbienne (m'avait-il dit). Je ne l’ai connue que dans cette scène. Elle était âgée déjà. Et Claude Régy l’employait dans La terrible voix de Satan, de Gregory Motton. Il faudrait tout vérifier, à moins que je l’ai rêvé. En fait, ce qui fait rêve, c’est peut-être que j’assistais (comme dans un rêve) à une scène à laquelle je ne devais pas assister. Peut-être n’a-t-elle jamais existé. J’avais fait — une seule fois — ce qui était le plus interdit : assister — en cachette, forcément, si je lui avais demandé, comme toutes les autres fois, il aurait dit non — à une répétition de Claude Régy. Je m’étais placé au balcon du théâtre Gérard Philipe, à Saint-Denis, personne ne savait que j’étais là. En fait, je l’ai fait deux ou trois fois, ce genre de chose, se cacher pour suivre des répétitions, et je regrette de ne l’avoir fait plus, c'est parmi mes plus beaux souvenirs de théâtre : regarder des acteurs qui ne savent pas qu’ils sont regardés. C’est ce qu’il y a de plus beau au monde. Comme un rêve. Je l’ai fait pour Le soulier de Satin, d’Antoine Vitez. Valérie Dréville, pendant la pause, répétait seule dans l’immense salle de Chaillot, elle emplissait tout l'espace (j‘étais tout en haut), elle faisait les cris de la mouette, et c’était tellement sublime, c’était comme apprendre le bonheur. Sa joie de vivre (en scène) personnelle. Pour Splendid’s, de Klaus Michael Grüber, pour cette reprise à l'Odéon, j'étais donc à l'école, les acteurs flottaient comme des plantes dans un océan d’amour tandis que, lui, Grüber, de l’orchestre, leur hurlait dessus comme un SS sans que pourtant rien ne change de la splendeur de cristal et de leurs mouvements lents d'algue et comme de dentelle. Et enfin, bien plus tard (il me fallait plus d'audace), pour La terrible voix de Satan, mise en scène par Claude Régy. Dans la scène qui se répétait ce jour-là — peut-être plus belle qu’elle ne le serait en représentation (Claude Régy m’a plusieurs fois affirmé que les répétitions allaient toujours plus loin que les représentations et qu’il fallait beaucoup répéter justement pour qu’il n’y ait pas trop de cette « déperdition » inévitable au contact du public), Andrée Tainsy devait être repoussée violemment dans une brouette — ou sortie violemment d'une brouette — et Claude Régy s’excusait de demander une certaine violence à l’acteur qui devait la repousser ou l'extirper, c'était Satan, quand même... s’inquiétait pour Andrée Tainsy, âgée, avec beaucoup d’amour et de respect, une grande douceur qui me touchait, Claude a toujours aimé les vieilles femmes, il lui demandait si ce n'était pas trop douloureux, je crois qu'il lui disait vous. Et elle avait dit, je le sais, je l’ai vécu, elle avait dit, je ne l’ai jamais oublié, et, voyez, ça me revient à partir de ces trois mots lus, la douleur intérieure, elle avait dit : « Oh... Claude, tu le sais... les vraies douleurs sont intérieures ». Quelles leçons ! n'est-ce pas ?pour l'enfant que j'étais, toutes ces choses fausses qui lui étaient enseignées en rêve…
Labels: claude régy
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