Saturday, December 05, 2020


Cher Yves-Noël

Je suis au contraire, moi, très heureux que nous puissions avoir des discussions comme celle que nous avons eue malgré les maladresses qu'elles peuvent comporter. C'est justement ce type de discussion qui m'amuse et les moins enflammées m'ennuient, ce qui est peut-être l'un des désaccords de fond entre nous. Malheureusement je n'ai en ce moment pas la tête à te répondre, d'autant que je suis maladroit à l'écrit. J'espère que tu ne m'en voudras pas trop et que ma réponse ne te semblera pas réchauffée si je le fais avec du retard. Pour l'instant, l'heure est à la tristesse et je préfère m’y abandonner pendant un temps.

Amicalement, en espérant te revoir.

Gabin


Oh, mon bon Gabin, oui, comme tu dois être malheureux ! (on est tous passés par là). Moi aussi, je suis intéressé par le débat — si c’est avec toi. Et je comprends que, quand on a vingt ans, il faut débattre, il faut se démener, se débattre… Et, deuxièmement, j’ai peu d’espoir, je suis très pessimiste (j’ai honte de l’avouer), mais ce que j’espère, c’est l’arrivée d’une jeunesse qui contredirait ma vision noire, qui bâtirait le monde de par son énergie pure, natale… Dans mon presque désespoir, j’attends LE sauveur ou LES sauveurs, ceux, déjà là, qui dessineront autrement à partir de leur énergie (« ne pas se faire avoir ») et de l’état du monde dans lequel ils le trouvent. Tel quel. Et j’ai raison d’espérer. Une phrase me fait penser à toi ce matin : « Il était seul. Il était abandonné, heureux, près du cœur sauvage de la vie ». Elle est de James Joyce, c’est une phrase placée par Clarice Lispector en épigraphe de son roman intitulé Près du cœur sauvage. Une autre phrase me fait encore penser à toi aujourd’hui, ou à moi à travers toi (et il y en a tant d’autres) : « Le vrai pessimiste sait qu’il est déjà trop tard pour l’être », cette fois en exergue de L’Anomalie (le prix Goncourt)…

T’embrasse, tu verras, l’horrible tristesse est aussi (malheureusement) un long pays… 

Yves-Noël


« Quitte à désespérer de tout, autant le faire en terrasse à Paris. »

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