Tuesday, December 13, 2022

E vaporation d'un saint


« Sommes-nous en vie ? Comme tout.

Morts ? Désirable tombeau ! » 


Funérailles de François. Cercueil fermé, crémation. Stanislas dit qu’il était un « ange du théâtre », je crois, moi, qu’il était un saint. Je me suis aperçu que je le pensais quand j’ai appris qu’il allait être brûlé. J’ai pensé — et c’est très étrange quand même — Mais, alors, il n’y aura pas de reliques… de morceaux d’os, de mèches de cheveux, de fioles de sang... (Il est mort de septicémie.) Eric a qui je racontais ça… — tout est étrange et irracontable dans ce qu’il s’est passé au Radeau, ça tombe directement au fond du fond. On sait qu’on les a vécus, on se souvient des spectacles, mais on ne sait pas à quel niveau de rêve ou de réalité, à quelle profondeur on les a vécus. C’était de l’inconscient massif, une espèce d’enfance à l’état brut, non dégrossie, ondoyante, ductile, un étain, malléable comme l’or. J’ai souvent donné une image. C’était comme être à l’intérieur — de quelqu’un. Dans la vie, ça vous arrive souvent d’être à l’intérieur de quelqu’un à part les neuf mois ou bien encore les secondes d'éternité amoureuse ? Moi, j’ai été au théâtre du Radeau pendant sept ans à l’intérieur d'un autre et je me sentais libre, vivre, mais vivre ? (il y a ces deux vers d’un poème russe que je pique à Philippe Duke, ce matin). Hier, dans les vastes locaux, parmi la vaste foule, des François Tanguy partout, morceaux de bras, silhouettes. Tristan lui ressemble le plus, au concours des sosies, dans un train du retour interminable d'un chevreuil percuté. Une bonne part du théâtre français et européen (à qui je ne pouvais pas dire un mot). Fantômes, ceux encore vivants, sur fond de plage ou sur fond de neige. Jean me raconte que, le matin de la nuit de la mort de François (il s’y attendait, les médecins essayaient de le sauver), il avait, au réveil, revu sa propre vie en une myriade d’« éclats du réel », dit-il. « Ce que tu pensais avoir rêvé, en fait, c’est ta vie. » Il me dit que c’était ça, pour lui, l’œuvre, au Radeau, d'avoir pu continuer une « vie poétique », c’est-à-dire « en dehors de se vampiriser soi-même » (le système le demande : être son propre vampire), faisant référence aussi à mes derniers questionnements, ceux des adieux. Et il ajoute un titre étrange : « Ouverture des camps, fermeture des camps ». C'est la question de l'incarnation — jusqu'à peut-être l'hallucination des faux François  — parce que c’est la question de l'Esprit Saint. François Tanguy, non, pas plus que Dior, n’était Dieu, mais il était l’Esprit Saint. Présence irrésistible et toujours intime. Un peu Jésus, un peu Pentecôte. Tout un tas d’animaux volant, grimpant, grimant, des rassemblements, des troupeaux, des ensembles, du temps, des générations (non, une seule génération). Quelque chose qui tient en l’air pourtant arrimé au sol. Pas un travail, non, un bercement — quelque chose, oui, du berceau pour toute une bande de filles en larmes et de garçons les yeux humides certes au monde, mais peut-être pas encore né.e.s comme le formule Romain Gary dans un passage que j’ai repris à mon compte dans TITANIC, hélas : « Il ne suffit pas de venir au monde pour être . « Vivre », ce n’est ni respirer ni souffrir ni même être heureux, vivre est un secret que l’on ne peut découvrir qu’à deux. Le bonheur est un travail d’équipe ».  Tout ce théâtre n'était qu'en mémoire, qu'en sommeil, qu'en oubli — et qui aura fait un autre théâtre ? — et qui aura transmis ce théâtre ? Non, il ne sera pas transmis. Religion sans futur, vraie religion. Religion qui dure, fausseté. Même si les paroles doivent être transportées. « Aimez-vous les uns les autres », s'il fallait n'en garder qu'une...

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