« F aire théâtre de tout »
Ce matin — et pourquoi pas puisque « ce matin » est tous les matins du monde —, je lis dans le « Libé » du week-end dernier, 8 et 9 juillet, des récits de photographes, ici Jean-Claude Coutausse :
« Chuck Berry ! Ma première photo publiée, c'était dans le Petit Bleu d’Agen où je remplaçais un copain à l’été 1979, c'était un concert de Chuck Berry. J’étais avec un rédacteur qui avait beaucoup bu et je l’ai sorti d'une bagarre… Quelques années plus tard, alors que je travaillais pour l'AFP, « Libé » m’a appelé pour faire des photos de Laurent Fabius qui passait dans une émission. La commande était de photographier l'écran de télé ! « Libé » a toujours été un peu décalé mais j'ai pris ça très au sérieux… Plus tard, je leur ai dit : « C'est quand même possible d'aller sur les plateaux et de rentrer à temps pour le journal ! » C'est comme ça que j’ai fait mon trou à « Libé », essentiellement avec la politique. L’agence Gamma, Raymond Depardon, Gilles Caron… A l’époque, à mes yeux, Il n'y avait rien de plus sexy que le métier de reporter, en mode playboy avec le gilet à poches, la voiture de sport… J’avais besoin d'action, j'ai vécu tous mes rêves et relevé le challenge chaque jour. Car les journaux n'embauchent pas les photographes et on est obligé de faire nos preuves jusqu'au bout.
Mais une fois qu'on a enfilé le gilet à poches et qu'on a cassé la voiture, il reste la difficulté de ce métier. À trois reprises, un enfant est mort devant mon objectif. En Somalie en 1992, en Haïti et à Goma en 1994. Une mère somalienne tient son nouveau-né entre ses mains près de son visage. Les deux se regardent intensément. La vie s'enfuit du regard du bébé entre deux déclenchements. La petite Haïtienne, 18 mois environ, qui s'agite dans un berceau recouvert d'une moustiquaire, puis s’endort doucement. Un rayon de lumière. L'image est belle et l'infirmière d'Action contre la faim qui me crie dessus : « Tu ne vois pas qu’elle est morte ? »
Et puis cette fille rwandaise d’une douzaine d'années dans un « camp de choléra » de MSF. Dans la lumière crue d'un petit matin, allongée immobile sur une bâche blanche devant la tente que l’on passe au chlore. Je fais beaucoup de photos, son regard flou planté dans mon appareil. Une main gantée de caoutchouc s’introduit dans mon viseur pour lui fermer les yeux. Quelques minutes avant, elle respirait, j'en suis certain. Je suis dévasté. »
C’est surtout parce que c’est le premier texte que j’ai lu ce matin, avec la disponibilité de l’aube (la Promesse), ce n’est donc qu’un exemple (comme tout ce que je proposerai). Mais si l’on devait faire le spectacle tout de suite — et c’est ce que nous faisons —, ce serait retenu si une personne de vous était intéressée à cause de la « disponibilité au hasard » à laquelle nous nous entraînons et à l'égalité entre le long terme et l'immédiat. S’il n’y a pas de livres, il reste les journaux ; s’il n’y a plus les journaux non plus, il reste la parole qui traîne dans nos têtes en vrombissement permanent parfois atténuée par la dépression parfois augmentée par la grandiosité, bipolaires que nous sommes…
Voilà comment je vois les choses
Et parfois — ou à un certain âge de la vie —, il reste l’atténuation de la paroles, l'effacement des mots, des phrases, des paragraphes
la disparition des spectacles ; reste, oui, la disparition du sens des spectacles
Ça n’empêche pas la couleur, la couleur des peintres
Jouez comme si vous étiez des vieux, vieilles interprètes retirées, sans force, avec des opérations de la hanche, des genoux cassés, mais la splendeur encore là pour le dernier concert de votre ultime — et mondiale — tournée d’adieux
Oh, j’ai finalement décidé que mon futur mentait
Labels: correspondance deux ans
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