L 'Histoire de la démultiplication
Je ne sais pas trop comment nous donner du travail à la maison. Peut-être faudrait-il tenir une sorte de journal, de journal ouvert, soumis aux tempêtes (Yan vient de m’envoyer les images de celle que nous avons vu passer en France mais qui s’est déchainée à la Chaux-de-Fonds). Par hasard, le poète vaudois Gustave Roux (que j’aime beaucoup) : « Le ciel a été décanté par les pluies récentes ». Je lis dans un article sur Salman Rushdie quelque chose qui me fait penser au jeu d’acteur (donc à vous) : « L’« inné » des écrivains se transporte sans coup férir « de l’autre côté », sautant allégrement d’un méridien ou d’un hémisphère à un autre, tant qu’ils demeurent les adaptateurs d’eux-mêmes. C’est même l’adaptation, de soi à soi, de soi aux autres, que Rushdie érige en principe actif et ô combien dynamique d’un patrimoine cosmopolite appelé à (se) « survivre », le mot revient constamment sous sa plume. » Ce que je souligne, c’est l’ambition (l'espoir) d’être sensible aux « adaptations », d’entraîner nos capacités aux « métamorphoses » le long de ces deux ans chroniqués dont on a déjà oublié le commencement, de — n’est-ce pas cela, le jeu ? — s’entraîner à n’être pas soi, à changer (« Je est un autre »). Soyez insaisissable, fuyez, démultipliez-vous, placez-vous à différents points de la bataille, comme les rois, paraît-il, y plaçaient parfois leurs sosies... Soyez sectateur de vous-même, présent nulle part et partout à la fois… Il y a Walt Whitman qui dira les choses mieux que moi (dans son long, célèbre et sublime Song of Myself) : « I am large, I contain multitudes ». Je pense aussi qu’il faudrait peut-être des postiches (perruques, barbes, lunettes) et des costumes (par quelqu’un très doué à ça, s’il en existait) pour jouer mille personnages sous les étoiles : des hommes nus et déguisés...
« You shall listen to all sides and filter them from your self. »
« J'ai entendu ce que disaient ceux qui parlaient, le discours du début et de la fin,
Mais je ne parle ni de début ni de fin.
Il n'y a jamais eu plus de début que maintenant,
ni plus de jeunesse ou d'âge que maintenant,
Et il n'y aura jamais plus de perfection qu'aujourd'hui,
ni plus de paradis ou d'enfer qu'aujourd'hui.
L'envie, l'envie, l'envie,
Toujours l'envie procréatrice du monde. »
« Je passe la mort avec les mourants, je passe la naissance avec le petit bébé tout frais, je ne suis pas inclus entre mes seules bottes et chapeau.
Mon œil caresse des myriades d’objets, pas deux identiques, tous bons sans exception,
Bonne la terre, bonnes les étoiles, bons tous leurs attributs. »
« What is commonest, cheapest, nearest, easiest, is Me,
Me going in for my chances, spending for vast returns,
Adorning myself to bestow myself on the first that will take me,
Not asking the sky to come down to my good will,
Scattering it freely forever. »
(« Ce qu’il y a de plus commun, de moins cher, de plus immédiat, de plus facile c’est ça Moi
Moi, toujours prêt à prendre des risques, à me ruiner pour de gros profits,
A m’apprêter de parures pour m’offrir au premier qui voudra de moi,
Sans exiger du ciel qu’il condescende à mon bon vouloir,
Que, gratuitement et pour l’éternité, je dispense à la ronde. »)
« The city sleeps and the country sleeps,
The living sleep for their time, the dead sleep for their time,
The old husband sleeps by his wife and the young husband sleeps by his wife;
And these tend inward to me, and I tend outward to them,
And such as it is to be of these more or less I am,
And of these one and all I weave the song of myself. »
« J’ai ma part chez les jeunes, les vieux, les sages comme les stupides,
Suis sans égard pour mon prochain, plein d’égards pour lui,
Maternel mais paternel, enfant guère moins qu’adulte,
Taillé dans la toile brute, taillé dans la toile fine »
« I resist any thing better than my own diversity,
Breathe the air but leave plenty after me,
And am not stuck up, and am in my place. »
« These are really the thoughts of all men in all ages and lands, they are not original with me,
If they are not yours as much as mine they are nothing, or next to nothing,
If they are not the riddle and the untying of the riddle they are nothing,
If they are not just as close as they are distant they are nothing.
This is the grass that grows wherever the land is and the water is,
This the common air that bathes the globe. »
Etc.
Bon, c’est un poème sublime que je vous remercie de m'avoir fait rencontrer, mais je n’ai pas fini de le lire ni de l’étudier…
(Et ce n'est qu'un exemple...)
A bientôt,
Yves-Noël
Labels: correspondance neuchâtel
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