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Friday, October 13, 2023

V endredi 13


C’est le souk, parfois, dans la maison de retraite. Ça s’angoisse, ça braille. Ça déborde. Tout le monde s’y met. Ma mère marche de plus en plus difficilement, mais, bon, on fait encore le chemin. Elle veut le faire, mais elle voudrait se téléporter. Le fauteuil n’est pas loin. C’est Sabrina qui nous apostrophe, qui voit que je la tire (je la tire surtout pour traverser la rue). Sabrina était dans la classe de ma mère (grande section d’école maternelle), elle se souvient d’elle comme d’une maîtresse très gentille. Ma mère est ravie. Comme une vedette qui rencontrerait une fan. Elle est au bord de lui répondre comme j’avais entendu Duras répondre à une jeune fille qui lui disait presque en larmes : « Qu’est-ce que c’est bien que vous existez… » : « Qu’est-ce que je peux répondre ? » Une femme — dénoncée par une autre : « La dame, elle pose sa culotte » — est en effet en train d’enlever non pas sa culotte, mais sa couche-confiance. « On ne se déshabille pas ! — Mais… — Y a pas de mais ! » Une autre est en boucle depuis un bon moment, elle dit « Pardon » toutes les trois secondes, sans crier, mais incroyablement déterminée, répétitive comme Philip Glass, « Pardon… Pardon… Pardon… » Jusqu’à ce qu’une aide-soignante craque : « Ça suffit ! Stop ! Vous n’êtes pas toute seule, Madame Panchout ! Vous arrêtez de crier, s’il vous plaît… » Pourquoi je suis émerveillé par cet insupportable des maisons de retraites ? Ma mère ressemble à une vieille Bretonne comme j’en ai tant vues dans mon enfance. La vieille Bretonne a toujours été vieille. Simplement, ce n’était pas ma mère. Elle ressemble aussi beaucoup à sa mère. Ma mère a l’âge de ma grand-mère. Qui, elle aussi, a toujours été vieille. Le temps change. On peut être heureux d’en finir (momentanément) avec cet éternel été. Enfin l’automne. Un vent révoltant, un vent vivant 

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