J’ai eu la possibilité de donner un spectacle, j’y ai déjà fait allusion, dans la chapelle désaffectée de mon ancien lycée à Bourg-en-Bresse. Et ce que j’ai ressenti — que j’ai dû ressentir souvent —, c’est l’idée d’une trêve, d’un couloir sanitaire d’une heure, que pendant que je fabriquais ce spectacle, je veux dire pendant qu’il se jouait (une fois) devant les spectateurs, les « grandes gueules » se taisaient. Il y avait une trêve. Comme je ne décide jamais de rien, encore moins à l’avance, les spectacles ne sont — le luxe de ça — qu’issus du contexte. Je suis le seul, à ma connaissance, à pouvoir agir de cette façon, à fleur de peau. La politique, pour moi, c’est la réactivité de l’épiderme. J’avais donné à Lyon un spectacle quelques jours après les attaques du Bataclan, etc., en novembre 2015 et il s’était agi alors d’une lente prière multicolore, un son-et-lumière sublime (lumières de Philippe Gladieux) sur un tapis de feuilles mortes et la pluie tombe pendant une heure comme ça, puis 3/4 d’heure encore la pluie éteinte, l’odeur des feuilles mortes, tapis épais (on était allé les chercher dans les parcs, des sacs et des sacs, sans presque d’acteurs, présence ténues, seule la nature. Et ce spectacle contemplatif s’était appelé PAR DELICATESSE J’AI PERDU MA VIE (titre chopé chez Rimbaud). Dans la chapelle jésuite, ce 1er novembre, elle spectacle s'appelle TOUS SAINTS. J’ai demandé à Lazare (nom plusieurs fois cité dans le commencement du célèbre sermon sur la mort de Bossuet que je n’ai pas résisté de déclamer, du haut de la chaire), j’ai demandé à Lazare Huet, lui-même un ange, de jouer de l’épée (une épée retrouvée dans la maison de Bourg), j’ai demandé à Lazare de poursuivre — je ne sais même plus comment c’est arrivé — de poursuivre un par un les interprètes et de les tuer à l’épée un par un. L’ange exterminateur. L’ange justicier. L’ange de la mort. Les interprètes non touchés devaient continuer à danser comme si de rien n'était. Parfois aider à sortir les blessés (pour que quelqu’un tombé en premier ne reste pas une demi-heure au sol), mais, à la fin, il ne ne reste, jonchant le sol de cette église, que des cadavres et, une fois, une petite fille qui n’avait pas été trouvée, en tutu, elle s’appelle Margot, s’était avancé en sautillant, légère et transparente comme un papillon, une libellule et avait dansé sur cadavres. C’était sublime. On a gardé l’image. Bien entendu que l’actualité — mais pas seulement — nous avait traversé. Bien entendu ça parlait des guerres actuelles, des massacres actuels (pas seulement, aussi de celui de la Saint-Barthélemy que j’avais vu quelques jours avant dans La Reine Margot). Et bien entendu certains spectateurs se sont plaint de cette image violente : « On avait l’impression de voir Gaza », ils auraient voulu un spectacle plus gai « pour se changer les idées ». Bien entendu. Parfois les spectacles ne changent pas les images, mais les ressourcent. Mais ce n’était pas la dernière image. Après le passage de la fée luciole, tous ressuscitaient. Une image plus belle encore, l’humanité redressée d’entre les morts
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